les Pères de l’Eglise

Ecrits principaux des Pères de l’Eglise sur Marie Madeleine

Les pères de l’église, miniature Russe du XIe

Dans son « Supplément 138 » publié en décembre 2006, les Cahiers Évangiles analysent les « différentes figures de Marie-Madeleine » et consacrent un chapitre important à la tradition patristique. Les textes choisis dans ce document reflètent naturellement le souci qu’avaient les Pères de répondre aux interrogations légitimes de leurs fidèles. Mais ils soulignent aussi la volonté qu’avaient les Pères de contrer les arguments avancés par les adversaires de la religion chrétienne qui ne manquaient jamais d’exploiter les contradictions apparentes des textes évangéliques.

La diversité des textes choisis attire aussi l’attention du lecteur sur l’écart existant entre Orient et Occident : pluralité de personnages pour beaucoup de Pères grecs, unicité pour de nombreux Pères latins, sans que l’on puisse toutefois conclure à une réelle opinion dominante. Les exégètes continuent, encore aujourd’hui, à en débattre. Nous reprenons ici la plupart de ces textes, mais sans les commentaires des Cahiers, afin de laisser au lecteur la liberté de se forger une opinion par lui-même.

Mentions explicites ou supposées de Marie-Madeleine dans les Évangiles

dans les Évangiles

Scènes d’onctionMatthieuMarcLucJean
Marthe et Marie  Lc 10, 38-42 
Pècheresse  Lc 7, 36-50 
Onction BéthanieMt 26, 6-13Mc 14, 3-9 Jn 11,1 et 12,1-8
Résurrection Lazare   Jn 11, 1-44

Témoin de la RésurrectionMatthieuMarcLucJean
Entourage  Lc 8, 1-3 
Pied de la croixMt 27, 55-56Mc 15, 40-41Lc 23, 49 (sans nom)Jn 19 ,25
EnsevelissementMt 27, 61Mc 15, 47Lc 23, 55 (sans nom) 
Aromates Mc 16, 1Lc 23, 56 et 24,10 
Tombeau videMt 28, 1-7Mc 16, 2-7Lc 24, 1-8Jn 20, 1
Apparition de JésusMt 28, 9-10Mc 16, 9-11 Jn 20, 11-17
Annonce aux disciplesMt 28, 8-11Mc 16,8 rien à personneLc 24,9-12Jn 20,2 et 20,18


Jacques Jordaens –  Les quatre évangélistes, 1628, musée du Louvre, Paris

Chez Matthieu :

Marie-Madeleine apparaît après la mort de Jésus (encore en croix) et on apprend que ces femmes suivaient Jésus depuis la Galilée. Auprès du tombeau, elle apparaît toujours en présence d’une autre Marie. Aucune préparation aux rites de sépulture (aromates) n’est mentionnée. C’est l’ange du Seigneur qui leur annonce la résurrection de Jésus, puis elles courent l’annoncer aux disciples ; Jésus leur apparaît en chemin ; elles lui saisissent les pieds en se prosternant. On ne retrouve plus les femmes par la suite.

A Béthanie, chez Simon le lépreux, une femme non nommée s’approche de Jésus avec un flacon d’albâtre contenant un parfum précieux qu’elle lui verse sur la tête. Les disciples sont indignés.

Chez Marc :

Comme chez Matthieu, les femmes apparaissent après la mort de Jésus et l’on apprend qu’elles l’ont suivi depuis la Galilée. Elles observent de loin l’ensevelissement par Joseph d’Arimathie et achètent des aromates. Elles entrent dans le tombeau vide puis s’enfuient sans rien dire à personne. « Une finale longue » (Mc 16, 9-11) apporte d’autres précisions : Jésus apparaît d’abord à Marie-Madeleine dont il avait chassé sept démons et qui part l’annoncer aux disciples ; cette version apporte une modification considérable dont le lecteur perçoit la conclusion de l’Évangile.

A Béthanie, chez Simon le lépreux, une femme non nommée s’approche de Jésus avec un vase d’albâtre contenant un nard pur de grand prix. Brisant le flacon elle le lui verse sur la tête ; quelques personnes présentes s’indignent.

Chez Luc :

Marie-Madeleine accompagne Jésus depuis la Galilée jusqu’à Jérusalem. Elle fait partie d’un groupe de femmes que l’on retrouve surtout lors de la Passion à Jérusalem. Celles-ci assistent à la mort de Jésus à une certaine distance. Portant attention au corps de Jésus, elles envisagent une participation active aux rites de sa sépulture. Elles sont les premières à recevoir au tombeau l’annonce de sa résurrection. Voulant porter ce message aux apôtres, elles doivent faire face à une réaction d’incrédulité. La manière dont cette expérience est reprise lors de la rencontre du Ressuscité avec les disciples d’Emmaüs est exemplaire du cheminement demandé aux personnes qui se mettent à la suite du Christ : il s’agit d’un véritable test pour la foi.

Dans la maison de Simon, un pharisien (en Galilée ?), une femme pècheresse inconnue tout en pleurs apporte un vase de parfum. Elle arrose les pieds de Jésus de ses larmes, les essuie avec ses cheveux et les couvre de baisers ; elle les oint ensuite de parfum. Jésus remet à la femme ses très nombreux péchés parce qu’elle a montré beaucoup d’amour ; sa foi l’a sauvée.

Chez Jean :

Les femmes sont à proximité et non à distance de la croix ; la mère de Jésus est présente. Les femmes ne sont pas mentionnées lors de l’ensevelissement mais Marie-Madeleine arrive la première et seule au tombeau sans aromates. Elle court chercher Pierre et Jean, et après leur départ, reste seule au tombeau ; Jésus lui apparaît mais ne veut pas qu’elle le touche. Elle reçoit la mission d’aller prévenir les apôtres. C’est la dernière apparition de Marie-Madeleine.

A Béthanie, dans le village de Marie et de sa sœur Marthe, Lazare leur frère est malade. Marie était celle qui oignit le Seigneur de parfum et lui essuya les pieds avec ses cheveux. Quelques temps plus tard, elles assistent à la résurrection de leur frère Lazare mort depuis quatre jours. Lors de sa rencontre avec Jésus, Marie pleure et tombe à ses pieds. Jésus frémit en son esprit et se trouble ; il verse alors des larmes car il aimait Marie, Marthe et Lazare.

Six jours avant la Pâque, de nombreux convives participent au repas donné à Béthanie et servi par Marthe en présence de Lazare. Alors, Marie prenant une livre de parfum de nard pur de grand prix, oint les pieds de Jésus et les essuie avec ses cheveux ; la maison s’emplit de la senteur du parfum. Judas l’Iscariote, qui connaît la valeur du parfum, récrimine seul.


CE QU’EN DISENT LES PÈRES DE L’ÉGLISE

légende pour : Pères Latins (PL)  –  Pères Grecs : (PG)

1/  LES SCENES D’ONCTION

Scènes d’onctionMatthieuMarcLucJean
Marthe et Marie  Lc 10, 38-42 
Pècheresse  Lc 7, 36-50 
Onction BéthanieMt 26, 6-13Mc 14, 3-9 Jn 11,1 et 12,1-8
Résurrection Lazare   Jn 11, 1-44

CLÉMENT d’Alexandrie (150-215) – (PG)

(Pédagogue II, 61)

Traits caractéristiques : Exégèse symbolique et allégorique

« Il est possible que cette scène soit le symbole de l’enseignement du Seigneur et de sa Passion : oints d’un parfum odorant, les pieds signifient l’enseignement divin qui chemine avec éclat jusqu’aux extrémités de la terre […]. Et, si je ne vous parais trop insister, les pieds parfumés du Seigneur, ce sont les apôtres qui, comme l’annonçait la bonne odeur de l’onction, ont reçu le Saint-Esprit. […] Les larmes, c’est le repentir ; et les cheveux déliés annonçaient le renoncement à l’amour de la parure, et les épreuves subies avec patience à cause du Seigneur au cours de la prédication, quand la nouvelle foi eut mis fin à ces vieilles vanités. Mais il y a là aussi l’indication de la Passion du Maître, si on considère le mystère de la façon suivante : l’huile est le Seigneur lui-même, dont la miséricorde s’étend jusqu’à nous ; le parfum, une huile adultérée, c’est Judas le traitre […]. Les larmes, c’est nous les pécheurs, qui nous sommes repentis, qui avons cru en lui, à qui il a pardonné leurs péchés ; et les cheveux déliés, c’est Jérusalem dans le deuil, délaissée, objet des lamentations des prophètes ».

ORIGENE d’Alexandrie (185-253) – (PG)  

(Homélie sur le Cantique I, 4)

Traits caractéristiques : Deux femmes distinctes ; onction sur la tête et sur les pieds

« Dans l’Évangile, une femme prit un vase d’albâtre plein de parfum d’un nard véritable d’un très grand prix, et le répandit sur la tête et sur les pieds de Jésus. Remarque avec soin qui des deux a arrosé la tête du Sauveur : on raconte en effet que c’est une pécheresse qui a répandu le parfum sur les pieds ? De celle qui le répandit sur la tête, on dit qu’elle n’était pas pécheresse ».

EPHREM de Nisibe (ou le Syrien) (306-373) – (PG) 

(Homélie)

Traits caractéristiques : Repentir de la Pècheresse – Amplification et dramatisation

« Personne, je pense, n’ignore dans la ville l’indignité de ma vie passée, les désordres honteux dans lesquels je me suis jetée, en y entraînant les autres par l’appât du plaisir. Mais dès que j’ai pu voir le Saint qui est apparu sur la terre, ce Médecin, ce Sauveur, mon âme a été touchée de sa Beauté si pure. J’ai vu de mes propres yeux ses moyens extraordinaires de guérison, ses miracles incomparables, sa Miséricorde et son Indulgence extrême. Il accueille les pécheurs, ne craint pas l’approche des publicains, ne repousse ni les lépreux, ni même les impies; tous ont un droit égal à sa Commisération, et Il ne S’irrite contre aucun de ceux qui L’approchent. Ce touchant spectacle m’a émue, et je me suis dit: Malheureuse que je suis, comment pourrai-je vivre, si je n’ose m’en approcher! L’oserai-je toutefois, du sein de la corruption qui me dévore? Mais pourquoi négliger le soin de ma propre vie? Trouverai-je jamais un médecin plus habile et une plus heureuse occasion? Je suis persuadée que c’est un Dieu qui est apparu environné d’un grand pouvoir et d’une grande autorité. Il commande à tout par sa Parole; par sa Parole, Il guérit les malades, et, toujours libre et indépendant dans sa Volonté puissante, Il remet les péchés aux coupables. Puisqu’enfin, j’ai trouvé une si belle occasion et un si grand Médecin, je ne dois pas m’endormir dans un repos funeste, ni négliger ma propre guérison. Courons donc présenter au souverain Juge la liste de mes fautes; je sais que j’ai péché au-delà de toute mesure, et je ne puis dire tout ce qu’il y a en moi d’impureté et de débauche. Cependant, comparés à l’abondance de sa Miséricorde, aux trésors de sa Pitié, mes péchés, quelque nombreux qu’ils soient, ne sont qu’une goutte d’eau, et j’ai la conviction que, si j’ai seulement le bonheur de m’approcher de Lui, je serai purifiée de toutes mes fautes et de toutes mes iniquités, parce qu’il fera sortir de moi tout ce qu’il y a de dérèglements et d’injustices, tant sont grandes sa Divinité, sa Sainteté et son Innocence. Voilà tous les secrets de mon coeur: maintenant donnez-moi le parfum, car depuis longtemps déjà vous me retardez pour apprendre de moi à qui je veux l’offrir ».

PSEUDO BASILE Césarée de Cappadoce (329-379) – (PG)

(Sur la Virginité)

Traits caractéristiques : Trois femmes unies par l’Esprit (Cf. « Nota » ci-dessous)

« Quand Marie embrassait les pieds du Seigneur, elle ne les embrassait pas comme les pieds d’un homme, mais comme ceux du Seigneur ; par ses larmes, elle éteignait et consumait en elle sagement le plaisir anciennement causé par les feux de la passion amoureuse, et, par ses dispositions à l’égard du Seigneur et par ses saints baisers, elle allumait sagement l’Esprit dans son âme. Elle vivait donc par l’Esprit, elle se conformait à l’Esprit et elle agissait en tout avec sagesse à l’égard de l’Époux pour la rémission de ses péchés. Elle était morte au péché, puisqu’elle avait mortifié avec crainte, par le contact des pieds et celui des baisers, l’idée de sexe féminin et de sexe masculin ».

Nota : En identifiant Marie avec la pécheresse, Basile est ici en phase avec plusieurs apocryphes chrétiens. Ainsi dans la Vie de Jésus en Arabe (Ve s.) dans lequel la circoncision de l’enfant est curieusement rattachée à la scène de l’onction de Béthanie faite par Marie pécheresse :

(7, 1-2) : « Quand vint le temps de la circoncision, c’est-à-dire le huitième jour, la coutume prescrivait de circoncire l’enfant et ils le circoncirent, également dans la grotte. La vieille juive (sage-femme), qui avait un fils apothicaire, prit le prépuce et le mit dans un flacon d’onguent et de nard précieux. Elle vint vers lui et lui dit : « garde-toi de vendre ce flacon, même si on t’en donnait trois cents dinars ». Ce flacon est celui qu’acheta Marie la pécheresse et qu’elle versa sur la tête de Jésus ».

Dans un autre apocryphe chrétien, le Livre du Coq (Ve-VIe s.), tout en maintenant l’anonymat de la femme pécheresse, présente un récit de l’onction de Béthanie qui combine les différents récits évangéliques au point d’aboutir à une espèce d’évangile « concordant ». Cela a pour effet d’imposer l’idée que la pécheresse n’est autre que la sœur de Lazare, même si elle n’est pas nommée.

Philippe Lejeune- Onction à Béthanie

(3, 1-8) : « Parmi les habitants de cette ville, il y avait une femme pècheresse ; elle apprit que le Seigneur Jésus se trouvait dans la maison de Simon le lépreux. Elle se leva donc, se rendit chez un marchand de parfums et lui dit : « Je veux que tu me donnes un parfum raffiné, de grand prix et de fragrance exquise. Je te l’achète pour oindre mon Seigneur le Christ en le lui versant sur la tête, afin qu’il ait compassion de moi et qu’il me pardonne mes péchés ». Il lui donna donc un parfum raffiné et de grand prix, qu’elle lui acheta pour trois cents deniers. Et elle s’empressa de se rendre à la maison de Simon, en se réjouissant. Elle trouva le Seigneur Jésus assis ; elle lui versa le parfum sur la tête, lui baigna les pieds de ses larmes, les lui essuya avec ses cheveux et la fragrance de son arôme remplit la maison entière. Cela consterna Judas Iscariote, qui s’exclama : « Pour quelle raison a-t-elle gâché une telle quantité de parfum, plutôt que de le revendre pour trois cents deniers et d’en faire l’aumône aux pauvres ?  » Il dit cela non par amour des pauvres, mais parce que c’était lui qui tenait la bourse des offrandes, qu’il était voleur et qu’il donnait à sa femme ce que le Seigneur lui confiait pour la bourse des offrandes même s’il savait que Judas trouverait des excuses. Le Seigneur Jésus leur dit alors : « Pourquoi tracassez-vous cette femme ? C’est une bonne œuvre qu’elle a accomplie à mon égard. Des pauvres, en effet, vous en trouverez, et ils sont avec vous, tandis que moi je ne serai pas pour toujours avec vous. Et quant à ce parfum qu’elle a versé sur moi, elle a agi ainsi pour mon ensevelissement. En vérité, je vous le déclare, là où sera proclamé le saint Évangile, dans le monde entier, on se souviendra ainsi de cette femme et de ce qu’elle a fait ». S’étant tourné vers elle, le Seigneur Jésus lui dit donc : « Tes péchés si nombreux te sont pardonnés, parce que tu m’a beaucoup aimé. Va, rentre chez toi en paix, et ne pèche plus désormais ». Cette femme-là s’en alla, et c’est Jean l’évangéliste qui fut témoin de ces paroles ».

On remarquera que ces textes apocryphes, tout comme la plupart des Pères grecs, n’assimilent ouvertement Marie-Madeleine à la pècheresse de Luc, à la femme anonyme de Mt ou Mc, ou encore à Marie, la sœur de Lazare.

AMBROISE de Milan (340-397) – (PL)  

(Commentaire sur saint Luc VI, 12.14)

Traits caractéristiques : Hésite entre deux femmes distinctes et une seule

« Ce passage semble donner de l’embarras à beaucoup, et ils soulèvent des questions : est-ce que deux évangélistes sont en désaccord en leur témoignage ?  Ou-bien ont-ils voulu, par la diversité des expressions, marquer un mystère différent ? […] Donc Matthieu fait entrer cette femme qui verse un parfum sur la tête du Christ ; et peut-être est-ce pour cela qu’il n’a pas voulu l’appeler pécheresse ; car selon Luc, la pécheresse a répandu le parfum sur les pieds du Christ. Il se peut donc que ce ne soit pas la même : ainsi les évangélistes ne sembleront pas se contredire. La question peut aussi se résoudre par une différence de mérite et de temps, en sorte que l’une soit encore pécheresse, l’autre déjà plus parfaite : car si l’Église, ou l’âme, ne change pas de personnalité, elle change quant au progrès ».

(La Pénitence II, 66-67)

Traits caractéristiques : Exemple de conversion

« Montre donc au médecin ta blessure, de façon à pouvoir être guéri. […]  Nettoie tes plaies avec tes larmes. C’est ainsi que cette femme dont parle l’Évangile s’est débarrassée de son péché et de la mauvaise odeur de son égarement ; c’est ainsi qu’elle s’est purifiée de sa faute, en lavant les pieds de Jésus de ses larmes. Puisses-tu réserver à moi aussi, ô Jésus, le soin de laver tes pieds, que tu as salis tandis que tu marchais en moi !  Puisses-tu me présenter, pour que je les lave, les souillures de tes pieds, que j’ai attachées à tes pas par ma conduite ! […]  Si je n’ai pas d’eau, j’ai mes larmes. Puissé-je, en lavant tes pieds avec elle, me purifier moi-même !  Comment faire en sorte que tu dises de moi : Ses nombreux péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé (Lc 7, 47) ?  J’avoue que ma dette est plus considérable et qu’il m’a été remis davantage, à moi qui fus arraché au bruit des querelles du forum et aux responsabilités redoutables de l’administration publique pour être appelé au sacerdoce ».

(Commentaire sur saint Luc VI, 13.21)

Traits caractéristiques : Exégèse symbolique et allégorique : figure de l’Église

« Ne te semble-t-il pas que Béthanie, c’est le monde […], et que la maison de Simon le lépreux est la terre, qui fait partie du monde ?  Et le prince de ce monde est à sa manière un Simon le lépreux. Donc le Seigneur Jésus-Christ est venu des régions supérieures en ce monde et descendu sur la terre. […] Cette femme apprit donc que le Christ était arrivé ; elle entra dans la maison de Simon ; car cette femme n’aurait pu être guérie si le Christ n’était venu sur terre. Et si elle entra dans la maison de Simon, c’est peut-être qu’elle figure telle âme plus élevée, ou l’Église, qui est descendue sur terre pour attirer les peuples autour d’elle par sa bonne odeur. […] Et peut-être nul ne peut-il offrir ce parfum que l’Église seule, qui possède des fleurs innombrables aux senteurs variées ; elle prend à propos l’apparence d’une pécheresse, puisque le Christ aussi a pris la figure du pécheur ».

CHROMACE d’Aquilée (340-409) – (PL)  

(Sermon XI, 2)

Traits caractéristiques : Actes de foi en la miséricorde divine ; exégèse symbolique

« Voyez l’humilité de cette sainte femme. Elle n’a pas commencé par oindre la tête du Seigneur, mais ses pieds, quoiqu’il soit rapporté qu’ensuite, elle a oint la tête du Seigneur. Elle a oint d’abord les pieds, puis la tête ; mais elle a commencé par les pieds, pour mériter d’arriver à la tête : parce que qui s’abaisse, comme il est écrit, sera élevé, et qui s’élève sera rabaissé (Mt 23, 12). Elle s’est abaissée pour être élevée. De plus, après avoir oint les pieds du Seigneur, elle ne les a pas essuyés avec un linge, mais avec ses propres cheveux, pour mieux honorer le Seigneur. Mais dans quel dessein cette femme s’est-elle servie de ses cheveux pour essuyer les pieds du Seigneur, si ce n’est pour sanctifier sa propre tête au contact des pieds du Christ ? Car elle a sanctifié en elle tout ce que le corps du Christ, qui est la source de sainteté, a pu toucher. Ayant donc rendu un plus grand honneur au Christ, elle a mérité une grâce plus grande […] : cette femme a bu à la source de sainteté une grâce pleine de charme, pour étancher la soif de sa foi ».

(Sermon XI, 3)

Traits caractéristiques : Exégèse allégorique

« Sainte Marie, on le lit souvent dans l’Évangile, plut beaucoup au Christ par la grandeur extraordinaire de sa foi. Dans le passage qui précède, en pleurant la mort de son frère, elle fit aussi pleurer le Seigneur, car elle provoqua à la tendresse l’auteur de la tendresse. Ici, elle montre son affection et sa piété à l’égard du Seigneur en prenant une livre de parfum de nard, pour en oindre les pieds du Seigneur et ensuite les essuyer avec ses cheveux. Cette femme préfigurait l’Église qui a offert au Christ la dévotion pleine et totale de sa foi. Marie, en effet, prit une livre de parfum précieux ; or, dans une livre, il y a douze onces. C’est donc la mesure du parfum précieux, l’enseignement des douze Apôtres. Et ce n’est pas sans raison que le nom même du Seigneur est appelé parfum répandu (Ct 1, 2). Un parfum, comme vous le savez, tant qu’il est conservé à l’intérieur de son flacon, garde en lui la force de son odeur ; mais dès qu’on le verse ou le vide, alors, il répand son parfum odorant en long et en large. Ainsi, notre Seigneur et Sauveur, alors qu’il régnait au ciel avec le Père, était-il ignoré du monde, inconnu ici-bas. Mais lorsque, pour notre salut, il a daigné s’abaisser en descendant du ciel pour prendre un corps humain, alors, il a répandu dans le monde la douceur et le parfum de son nom ».

(Sermon XI, 4)

Traits caractéristiques : Exégèse doctrinale

« Elle n’a pas commencé par oindre la tête du Seigneur, mais ses pieds. Les pieds du Christ désignent le mystère de son incarnation, par laquelle il a daigné naître d’une vierge, en ces temps qui sont les derniers ; la tête au contraire, désigne la gloire de sa divinité, gloire dans laquelle il est sorti du Père de toute éternité. Donc, l’Église vient d’abord aux pieds du Christ, puis ainsi à sa tête, parce que, si elle n’avait pas appris qu’il s’était incarné d’une vierge, elle n’aurait jamais pu connaître la gloire de sa divinité, qui vient du Père. […] Ainsi que nous venons de le dire, la tête signifie sa divinité qui procède du Père ; les pieds, son incarnation d’une vierge. Nous ne pouvons être sauvés qu’en croyant ces deux choses du Christ. Par conséquent, un certain nombre d’hérétiques, qui confessent seulement l’humanité du Christ, mais nient sa divinité, Photin (évêque de Sirmium en Pannonie) par exemple, tiennent ses pieds, mais ne possède pas sa tête, parce qu’ils ont perdu le chef de la foi ».

AMPHILOQUE d’Iconium, Cappadoce (IVe s.) – (PG)  

(Homélie sur la Pécheresse IV, 4-5)

Traits caractéristiques : Amplification et dramatisation

« Elle était l’une d’elles, la pécheresse dont nous parlons. Altérant la nature, se rougissant les joues à l’aide de fards, s’efforçant d’être belle à force d’artifices, elle entraînait les jeunes gens à la débauche, les faisant pencher sans qu’ils y prennent garde vers le gouffre de la fornication. Je ne dis pas cela pour la railler de ce qu’elle fit auparavant, mais pour la louer de la soudaineté d’une telle conversion. Je dis ce qu’elle était afin de montrer ce qu’elle est devenue. Je dis les égarements de son propre péché afin de montrer les belles actions de sa conversion. Celle qui, auparavant, avait usé de son corps non sans mériter d’être blâmée – prenant les uns dans ses rets par les boucles de ses cheveux, ensorcelant les autres par des larmes, envoûtant d’autres par des parfums, et les attirant tous, de toutes les façons, dans le bourbier de la débauche – , la voilà qui échange sa passion honteuse et sensuelle contre un philtre d’amour divin et céleste ».

JEAN CHRYSOSTOME de Constantinople (344 – 407) – (PG)

(Homélies sur Matthieu 80,1)

Traits caractéristiques : Deux femmes distinctes

« Il s’agit, semble-t-il, d’une seule et même femme chez tous les évangélistes. Pourtant il n’en est rien ; mais chez les trois premiers, à ce qu’il me semble, il s’agit d’une seule et même femme, tandis que chez Jean, ce n’est plus le cas : là, il s’agit d’une autre digne d’admiration, la sœur de Lazare ».

(Homélie 52,1 sur Jean 11,2)

Traits caractéristiques : Exemple de conversion

Tiré du film Jésus de Nazareth de Zefirelli

« L’évangéliste nous renseigne utilement aussi sur les sœurs de Lazare et, tout particulièrement, sur la personne de Marie, quand il ajoute : Or, Marie était celle qui oignit de parfum le Seigneur (Jn 11,2). Ici, d’aucuns se demandent peut-être comment le Christ pouvait supporter de tels agissements venant d’une femme ? Il faut donc savoir en premier lieu ceci : cette femme n’est pas la prostituée dont parle Matthieu ni celle dont parle Luc ; il s’agit d’une autre. Celles-là étaient des prostituées, chargées de nombreuses souillures ; celle-ci était sainte et pleine de zèle. […] Il est donc clair que celle-ci (Marie) n’était pas celle-là (la pécheresse). Mais alors, pourquoi le Christ a-t-il accueilli aussi celle-là ? – Pour la délivrer de sa souillure, pour montrer son amour pour l’homme, pour que tu apprennes qu’il n’y a pas de maladie qui ne puisse vaincre sa bonté. Ne t’arrêtes donc pas au fait qu’il l’a accueillie, mais observe aussi comment il l’a transformée ».

(Homélies sur Matthieu 80, 1)

Traits caractéristiques : Exégèse doctrinale

« Elle ne s’approche pas de lui comme d’un simple homme, car elle n’aurait pas essuyé ‘ses pieds’ avec ses cheveux, mais comme de quelqu’un qui dépasse la mesure de l’homme. Voilà pourquoi, sur les pieds du Christ, elle incline sa tête, la partie la plus noble de tout le corps et de toutes ses parties ».

THÉODORE de Mopsueste, Antioche (350 – 428) – (PG)

(Commentaires sur Jean)

Traits caractéristiques : Deux femmes distinctes

« Tout en rapportant ces faits le bienheureux Matthieu les a retenus en abrégeant beaucoup : il n’a pas dit qui était cette femme qui a fait l’onction de parfum, mais il a simplement dit, sans donner son nom, qu’il s’agissait d’une femme ; il n’a pas indiqué non plus que celui qui avait adressé des reproches était Judas, mais il a simplement dit que c’était la réaction générale des disciples, non parce qu’il voulait les mettre tous en cause, mais pour rapporter le fait avec délicatesse. Le bienheureux Jean, en revanche, a prouvé encore par-là, la force de son grand amour à l’égard du Christ : en effet, il s’est refusé à taire le nom de cette femme qui, par son geste, a montré son amour à l’égard de notre Seigneur ; et il n’a pas voulu non plus ne pas dévoiler ouvertement le dessein du traitre et le confondre avec les autres ; c’était afin de faire connaître aux générations futures l’un et l’autre faits, en rendant illustre l’une par son acte de vertu, mais en confondant l’autre en raison de la perversité de son intention.

Par ailleurs, on doit noter encore ce point : il ressort clairement des déclarations de Matthieu que la femme a répandu le parfum sur la tête du Christ, tandis que selon Jean, elle lui a oint les pieds et les a essuyés de ses cheveux. On en conclura bien évidemment qu’elle a fait l’un et l’autre : elle a oint et la tête et les pieds. Mais le bienheureux Matthieu a rapporté la scène en l’abrégeant, c’est pourquoi il a parlé seulement de la tête. En revanche, parce que cela avait été dit, mais que ceci avait été omis, bien qu’il y eût dans le geste d’oindre aussi les pieds et de les essuyer de ses cheveux la preuve d’un grand amour pour le Christ, Jean a pensé qu’il convenait de le mentionner ».

AUGUSTIN d’HIPPONE (354-430) – (PL)

mosaïque de Marko Rupnik

(Sur l’accord des Évangélistes, livre II, 79)

Traits caractéristiques : Une seule femme pour deux scènes distinctes ; pécheresse identifiée à Marie de Béthanie (et à Marie-Madeleine :Cf. « Nota » ci-dessous)

« Examinons ce qu’il en est de cette femme et du parfum précieux dans la scène qui s’est passée à Béthanie (Mt 26, 3-13). En effet, Luc mentionne un fait semblable et s’accorde sur le nom de celui chez qui le Seigneur se trouvait à table, puisqu’il l’appelle également Simon. Cependant, comme il n’est contraire, ni à la raison ni à l’usage qu’un seul et même homme puisse porter deux noms, et encore bien moins que deux hommes puissent porter un seul et même nom, on croira plus volontiers qu’il y avait un autre Simon, différent du lépreux dans la maison duquel, à Béthanie, s’est passée cette scène. En effet, Luc ne dit pas que le fait qu’il raconte a eu lieu à Béthanie ; et bien qu’il ne mentionne pas la ville ou le bourg où cela s’est passé, son récit ne paraît pas se situer dans le même lieu. Voilà pourquoi, à mon avis, il n’y a rien d’autre à comprendre que ceci : la femme dont il est question n’est pas différente de la pècheresse qui vint alors se jeter aux pieds de Jésus, les baisa, les lava de ses larmes, les essuya de ses cheveux, et les oignit de parfum, et à qui le Seigneur, après avoir présenté la parabole des deux débiteurs, déclare que beaucoup de péchés lui sont remis parce qu’elle a beaucoup aimé ; mais c’est la même Marie qui a accompli deux fois ce geste, la première fois correspondant au récit de Luc, lorsqu’elle s’approcha, dans l’humiliation et dans les larmes, et mérita le pardon de ses péchés. En effet, bien que Jean n’ait pas raconté comme Luc, le déroulement de cette scène, il a cependant ouvertement mentionné que cette femme était Marie, lorsqu’il a commencé à parler de la résurrection de Lazare, avant la venue de Jésus à Béthanie (Jn 11, 1-2) […]. Par ces mots, Jean confirme le témoignage de Luc, qui a raconté que cela s’était passé dans la maison d’un pharisien nommé Simon. Ainsi Marie avait-elle déjà accompli ce geste. Celui qu’elle accomplit de nouveau à Béthanie en est un autre : il est sans rapport avec le récit de Luc, mais il est raconté à la fois par les trois évangélistes, à savoir Jean, Matthieu et Marc ».

Nota :  Augustin précise par ailleurs qu’elle est celle (Marie de Béthanie) qui se nomme Marie après la Résurrection :  » Ne me touche pas, je ne suis pas monté vers mon Père  » (Homélie 104, partie 6) (cf note * bas de page)

 (Sur l’accord des Évangélistes, livre II, 79)

Traits caractéristiques : Onction sur la tête et sur les pieds

« Nous devons ici encore admettre que cette femme répandit le parfum non seulement sur la tête mais aussi sur les pieds du Seigneur. À moins que par hasard, sous prétexte que Marc mentionne que le parfum a été répandu sur la tête, une fois l’alabastre brisé (Mc 14, 3), il se trouve un esprit assez sot et chicaneur pour nier qu’il ait pu en rester assez dans le vase brisé pour en répandre aussi sur les pieds ! Mais quand il soutiendra que le vase fut tellement brisé qu’il n’en resta rien, en déployant ses efforts contre la vérité de l’Évangile, combien plus justement et plus pieusement un autre peut-il soutenir qu’il n’a pas été brisé au point que le parfum ait été entièrement répandu, en déployant ses efforts pour la vérité de l’Évangile ?  Si ce chicaneur est obstiné dans son aveuglement au point de chercher à briser l’accord des évangélistes à propos de ce vase brisé, qu’il admette qu’elle a répandu le parfum sur les pieds avant que le vase ne fut brisé, de sorte qu’il est demeuré entier, et qu’elle en répandit aussi le contenu sur la tête, lorsqu’elle le versa en totalité après l’avoir brisé ».

(Sermon sur l’Alleluia)

Traits caractéristiques : Marthe et Marie – exégèse doctrinale

« Aura-t-on faim et soif toujours ? Un jour nous serons unis intimement et définitivement à la pure et parfaite Bonté de Dieu, nous n’aurons plus besoin de subvenir aux besoins du corps, et nous serons pleinement heureux : ne manquant de rien, possédant tout, n’ayant plus rien à chercher. Nous serons enivrés de l’abondance de la maison de Dieu ; nous serons rassasiés lorsque se manifestera sa Gloire. Voilà ce que Marie avait compris ! Si elle ne possédait pas encore cette vie intimement et définitivement, elle possédait du moins Celui qui, étant tout, enivre et rassasie. Telle était la part, la meilleure, que Marie s’était choisie ; jamais elle ne lui sera ôtée ».

(Johannis evangelium XLIX, 3, PL 35)

Traits caractéristiques : Onction à Béthanie par la sœur de Lazare

« Nous avons connu, nous avons vu, nous voyons encore tous les jours des hommes briser les chaînes de leurs mauvaises habitudes et vivre plus saintement que ceux mêmes qui leur reprochaient leurs crimes… Voyez la sœur de Lazare ‑ si toutefois c’est elle qui a répandu les parfums sur les pieds du Seigneur et les a essuyés de ses cheveux après les avoir baignés de ses larmes, ‑ sa résurrection a été plus merveilleuse que celle de son frère : elle a été délivrée du poids énorme de ses mauvaises habitudes ».

CYRILLE d’Alexandrie (378-444) – (PG)

(Homélies sur Luc (40)

Traits caractéristiques : Exégèse doctrinale

« Ils sont remplis d’étonnement et stupéfaits, ceux qui dînaient avec le pharisien, en voyant celui qui est le Sauveur de tous, le Christ, doté d’une grandeur digne de Dieu et usant d’un langage qui dépasse l’homme. Ils disaient en effet : Qui est cet homme qui remet même les péchés ? (Lc 7, 15)  Veux-tu que je te dise qui il est ? Il est celui qui est dans le dessein de Dieu le Père, engendré de lui selon la nature ; il est celui par qui tout a été amené à l’être, qui a pouvoir sur tout et qui est adoré par tous dans le ciel et sur la terre. Il s’est abaissé lui-même jusqu’à notre condition et il s’est fait notre grand prêtre pour nous conduire à Dieu, purs et purifiés, et, une fois rejetée loin de nous la puanteur du péché, exhalant désormais une odeur suave, comme l’écrit Paul dans sa sagesse : Nous sommes la bonne odeur du Christ (2 Co 2, 15) ».

HÉSYCHIUS de Jérusalem (début Ve siècle) – (PG)

(Questions et Solutions, Difficulté 31)

Traits caractéristiques : Deux femmes distinctes

« Pour quelle raison l’un des évangélistes situe l’histoire de l’onction six jours avant la Pâque (Jn 12, 1), mais l’autre deux jours avant (Mc 14, 1) bien que l’un et l’autre expliquent que cette histoire s’est passée à Béthanie ? Et pourquoi l’un a-t-il déclaré que tous les disciples avaient blâmé la femme, tandis que l’autre met en cause seulement Judas, bien que tous les deux aient mentionné la maison de Simon ? Il ressort clairement de cela que ce sont des personnes différentes qui, en des circonstances différentes, ont oint le Seigneur de parfum. La femme dont Luc rapporte l’histoire est la première de toutes, et elle a accompli son geste non pas à Béthanie, mais en Galilée, chez un certain Simon le pharisien ; en tout cas ce n’était pas un lépreux, comme le pensent Matthieu et Marc, qui rapportent que ce geste fut accompli par la femme deux jours avant la Pâque. Pareillement chez Jean aussi, on a affaire à une femme autre que celles-là : c’était la sœur de Lazare. De là vient que les reproches sont tantôt le fait de tous les disciples, tantôt le fait de Judas : ce n’est donc pas une seule et même personne qui est l’objet de reproches, mais des personnes différentes ».

ROMANOS LE MÉLODE d’Émèse/Homs – Constantinople (493- 556) – (PG)

(Hymnes 21, 10-11)

Traits caractéristiques : Amplification et dramatisation :

« L’autre (le parfumeur), voyant la ferveur et l’élan de la sainte, lui demande :  » dis-moi, qui est celui que tu chéris, pour t’enflammer d’amour à ce point ? Est-il vraiment digne en quelque chose de mon parfum que voici. »  Aussitôt la sainte élève la voix et crie avec assurance au fabricant d’aromates. « Que me dis-tu là, toi ?  S’il en est digne ? Rien n’est digne de sa dignité !  Rien, ni ciel ni terre, ni le monde entier, n’est comparable à celui-là qui accourt me délivrer du bourbier de mes œuvres. Il est beau à voir, car il est fils de David : il fait mes délices, car il est fils de Dieu et Dieu lui-même. Je ne l’ai pas vu, mais j’ai entendu parler de lui, et la vision m’a blessée de celui dont la nature est invisible » ».

GREGOIRE LE GRAND (560-604) – (PL)

(Homélie sur Ézéchiel VIII, 2.21)

Traits caractéristiques : Une seule femme pour deux onctions distinctes

« Souillée de tant et tant de fautes, Marie-Madeleine s’en vint aux pieds de notre Rédempteur, en larmes ; mais qui inonda son âme au-dedans, sinon celui dont, au-dehors, la bonté l’accueillait ? Qui provoquait ses pleurs par l’esprit de componction, sinon celui qui, à l’extérieur, sous les yeux des convives, la recevait pour le pardon ?  C’est notre Rédempteur qui arrachait au péché l’âme de cette femme, touchée au vif par le regret, et l’accueillait pour l’en délivrer. […] A cette source de la miséricorde s’est purifiée Marie-Madeleine, d’abord pècheresse notoire, qui lava ensuite ses taches par ses larmes, effaça ses taches en rectifiant sa conduite ».

(Homélies sur l’Évangile 33,1)

Traits caractéristiques : Amplification et dramatisation

« Cette femme, Luc l’appelle une pècheresse, Jean la nomme Marie (Jn 11,2), et nous croyons qu’il s’agit de cette Marie dont marc assure que sept démons avaient été chassés. Or que désignent les sept démons, sinon l’ensemble des vices ?  Comme le temps tout entier est renfermé dans sept jours, le chiffre sept représente bien l’universalité. Marie a donc eu sept démons, puisqu’elle fut remplie de tous les vices. Mais voici qu’elle regarda la honte de ses souillures, elle courut les laver à la source de la miséricorde, sans rougir en la présence des convives. Comme elle rougissait d’elle-même au-dedans, elle crut que la honte qu’elle pouvait avoir au-dehors n’était rien ».

(Homélie 33,2 sur la pècheresse)

Traits caractéristiques : Amplification et dramatisation

« Il est clair, frères, que cette femme, livrée jusque-là à des activités licencieuses, utilisait de l’huile de senteur pour parfumer son corps. Ce qu’elle s’était accordé pour sa honte, elle l’offrait maintenant en louange à Dieu. Ses yeux avaient servi ses convoitises terrestres, elle les usait maintenant par les armes de la pénitence. Elle avait fait montre de ses cheveux, se composant un visage ; maintenant de ses cheveux elle essuyait ses larmes. Sa bouche avait prononcé des paroles orgueilleuses, mais embrassant les pieds du Seigneur, elle la collait maintenant aux pas de son Rédempteur. Elle trouve en elle autant d’holocaustes qu’elle avait eus de jouissances. Tout ce qu’elle avait eu en elle comme voluptés, elle en fit d’elle-même autant d’holocaustes. Elle convertit en autant de vertus ses nombreux vices, afin de mettre au service de Dieu dans la pénitence tout ce par quoi elle avait méprisé Dieu dans le péché ».

(Homélie 32)

Traits caractéristiques : Repentance de la pècheresse

« Voyez quelle douleur consume cette femme qui ne rougit point de verser des larmes au milieu des joies d’un festin. Ses yeux avaient convoité toutes les jouissances de la terre, mais maintenant par la pénitence, elle en éteint le feu dans un déluge de larmes; elle avait fait servir ses cheveux à rehausser la beauté de son visage, elle s’en sert pour essuyer ses larmes: « Et elle essuyait les pieds du Sauveur avec ses cheveux. » Sa bouche s’était ouverte à des paroles inspirées par l’orgueil; elle baise les pieds du Sauveur, et imprime ses lèvres sur les pieds du Rédempteur: « Et elle baisait ses pieds. » Elle avait employé les parfums pour donner à son corps une agréable odeur, et ce qu’elle avait honteusement prodigué pour elle-même, elle en fait à Dieu un admirable sacrifice: « Et elle les oignait de parfum. »

THÉOPHYLACTE de Bulgarie, ou d’Ohrid (XIe siècle) – (PG)

(Commentaire sur l’Évangile de Marc)

Traits caractéristiques : Trois femmes distinctes

« Comme il était à Béthanie dans la maison de Simon le lépreux, survint une femme ((Mc 14, 3). Les quatre évangélistes font mention du parfum. D’aucuns croient qu’il s’agit d’une seule et même femme, mais ce n’est pas le cas : elles sont deux. L’une est celle dont il est question chez Jean, et qui est la sœur de Lazare. L’autre est celle dont il est question chez les trois autres. Cependant, fais bien attention et tu découvriras que ces femmes sont au nombre de trois : une chez Jean, une autre chez Luc, et chez les deux autres, une autre encore. La femme dont il est question chez Luc, et qui était une prostituée, accomplit ce geste dans le temps même de la prédication du Christ, tandis que celle dont il est question chez Matthieu le fait au moment de la Passion. Elle n’est pas non plus présentée comme prostituée, et le Seigneur approuve son intention; puisqu’elle a fait une si grande dépense pour acheter le parfum de nard ».

(Commentaire sur l’Évangile de Jean)

Traits caractéristiques : Exégèse doctrinale

artisanat africain, 25cm

« Marie, quant à elle, réserve seulement au Christ ses marques d’honneur, puisqu’elle ne s’approche pas de lui comme d’un homme, mais comme d’un Dieu. Voilà pourquoi elle répandit le parfum et l’essuya avec les cheveux de sa tête, sans se faire de lui une idée comparable à celle du grand nombre, non comme d’un simple homme, mais comme d’un Maître et Seigneur. D’autre part, en un sens anagogique (passer du sens littéral au sens spirituel ou mystique), on pourrait entendre Marie de la divinité du Père et Maître (Kyrios = Jésus) de toute chose, car Marie signifie « maîtresse ». La souveraine de toute choses, c’est donc la divinité du Père qui a oint les pieds de Jésus, autrement dit la chair du Seigneur ou du Verbe, dans les temps qui sont les derniers, du parfum de l’Esprit, selon la parole de David : Voilà pourquoi Dieu t’a oint, ton Dieu, d’une huile d’allégresse (Ps 44, 8), et celle du grand Pierre : Que toute la maison d’Israël sache que Dieu l’a fait Seigneur et Oint, ce Jésus que vous avez crucifié (Ac 2, 36). La chair qu’a assumée le Verbe, ointe par l’action de l’Esprit divin, qui est venu dans le sein de la Vierge, et devenue ce qu’est précisément le Verbe, c’est-à-dire Dieu, a rempli le monde d’une bonne odeur, comme le parfum de Marie a rempli d’une bonne odeur toute la maison ».


2/  MARIE-MADELEINE TÉMOIN DE LA RÉSURRECTION

Témoin de la RésurrectionMatthieuMarcLucJean
Entourage  Lc 8, 1-3 
Pied de la croixMt 27, 55-56Mc 15, 40-41Lc 23, 49 (sans nom)Jn 19 ,25
EnsevelissementMt 27, 61Mc 15, 47Lc 23, 55 (sans nom) 
Aromates Mc 16, 1Lc 23, 56 et 24,10 
Tombeau videMt 28, 1-7Mc 16, 2-7Lc 24, 1-8Jn 20, 1
Apparition de JésusMt 28, 9-10Mc 16, 9-11 Jn 20, 11-17
Annonce aux disciplesMt 28, 8-11Mc 16,8 rien à personneLc 24,9-12Jn 20,2 et 20,18

TERTULLIEN de Carthage (150-220) – (PL)

(Contre Praxéas 25,2 et 28, 9-13)

Traits caractéristiques : Enseignement doctrinal : annonce du dogme trinitaire

« Cependant, après la Résurrection, et la gloire que lui a procurées sa victoire sur la mort […], alors qu’il pouvait désormais révéler qu’il était le Père à une femme si fidèle qui, par un mouvement de tendresse et non avec la curiosité ou l’incrédulité de Thomas, essayait de le toucher, il déclare : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Mais va trouver mes frères – il révèle par là-même qu’il est le fils : car il aurait appelé ses fils, s’il eût été le Père – et tu leur diras : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu (Jn 20, 17). Est-ce le Père qui remonte vers le Père et Dieu vers Dieu, ou  bien est-ce le Fils qui remonte vers le Père, et le Verbe vers Dieu ? […] Ainsi, quels que soient les arguments que tu penses pouvoir tirer de ces passages pour démontrer que le Père et le Fils sont une même personne, tes efforts vont contre la sentence définitive de l’Évangile. Car ces choses n’ont pas été écrites pour que tu croies que Jésus-Christ est le Père, mais bien le Fils ».

HIPPOLYTE de Rome (170-235) – (PL)

(Commentaire sur le Cantique 25, 6-10 (extraits)

Traits caractéristiques : Marie : nouvelle Ève (première mention de cette interprétation)

« Mais pour qu’elles (les saintes femmes) ne doutent pas qu’elles ont été envoyées par les anges, le Christ lui-même vient à leur rencontre et les envoie pour que les femmes soient les apôtres du Christ et qu’elles compensent désormais, par une obéissance stricte et soumise, la défaillance et la désobéissance de l’ancienne Ève. Ô mise en garde nouvelle ! Ève est devenue apôtre. Voici que désormais elle connait la ruse du serpent et ne se laisse plus vaincre ; car désormais elle méprise les ordres de Satan et ne l’accueille plus, lui qui l’a vaincu par la concupiscence ; l’arbre séducteur ne la séduit plus, car désormais, transportée de joie par l’arbre de vie, elle a accueilli la promesse que lui a faite le bois et y a goûté ; honorée par le Christ, nourrie d’une nourriture immortelle, elle s’écarte du meurtrier ».

(Commentaire sur le Cantique)

Traits caractéristiques : Marie : nouvelle Ève – apôtre des Apôtres

« Ne me touchez pas, parce que je ne suis pas encore remonté vers mon Père. O Sainte femme (Marie-Madeleine, ndlr) qui avez saisi les pieds du Seigneur pour qu’il vous emporte vers le Père ! C’est une race nouvelle qu’il emportera : Ève qui désormais ne s’égare plus, mais saisit de toutes ses forces l’arbre de vie. Après cela le Christ l’envoie comme apôtre aux apôtres. O merveilleux renversement : Ève devient apôtre ».

EUSEBE de Césarée (265-340) – (PG)

(Questions à Marin III, 2,3)

Traits caractéristiques : Une seule Madeleine venue à plusieurs reprises au tombeau

« Tu pourrais ne pas te tromper en disant que les premiers instants de la résurrection de notre Sauveur sont indiqués chez Jean. Chez lui, le matin, lorsqu’il y avait encore de l’obscurité (Jn 20,1), Madeleine se présente au tombeau une première et une deuxième fois, et, comme elle ne trouve pas le corps du Sauveur, elle pleure, car personne n’avait encore eu connaissance de sa résurrection. Une seconde partie de la même heure est le temps qu’indique Matthieu. Selon lui, la même Madeleine se présente au tombeau une troisième fois avec l’autre Marie, et ne pleure plus, parce qu’elle a vu, au témoignage de Jean, les anges et le Sauveur lui-même. En effet, les récits de Luc et de Marc feraient référence à d’autres évènements : il est question chez eux d’un plus grand nombre de femmes venues pour voir. Considère pourtant que Madeleine n’est pas venue à des moments très distants l’un de l’autre, mais qu’elle s’est trouvée, la première et la seconde fois, au même endroit et au même moment, la première fois toute seule, la seconde avec l’autre Marie. Ainsi donc, la même Marie-Madeleine a vu ce que rapporte Matthieu et ce que rapporte Jean, sans pour autant avoir été absente des faits relatés par les autres évangélistes. En effet, elle ne s’était pas éloignée de l’endroit : elle y était présente et y demeurait, frappée de stupeur devant ce qu’elle voyait, et pourtant désireuse de bénéficier d’une deuxième et d’une troisième apparition divine, en plus de la première. Et les obtint par la suite, lorsque des femmes en plus grand nombre, à diverses reprises, viennent au tombeau, et qu’une vision angélique, de nature différente selon le moment, leur est accordée, alors qu’elle, elle assiste à chaque vision. Ainsi donc, Madeleine fut spectatrice de ce qui est relaté par les quatre évangélistes, et voilà pourquoi tous ont fait mention d’elle. De même, le moment aussi que font connaître Jean et Matthieu était le même, mais, de ce même moment, chacun a retenu des instants différents ».

(Questions à Marin III, 3, 1-3)

Traits caractéristiques : Jésus apparaît d’abord à Madeleine seule puis, une seconde fois, avec l’autre Marie

« S’il s’agit d’une seule et même Marie chez les deux évangélistes nous dirons que c’est la même qui s’est rendue, à plusieurs reprises, dans le même lieu, attirée qu’elle était par la stupeur que lui causait l’évènement et par la joie qu’elle ressentait en raison de ce qui s’était produit. Donc, première à être venue et première à avoir vu ce que rapporte Jean, elle hâtait de retourner vers les apôtres, une première fois, pour annoncer que le tombeau était ouvert. Puis, alors même qu’elle avait constaté la résurrection, elle était tenaillée par le soupçon qu’on ait enlevé le corps de Jésus du tombeau et qu’on ne savait pas où il avait été déposé. Puis elle revenait, une deuxième fois, avec eux au tombeau ; et comme ceux-là s’en retournaient chez eux, de nouveau demeurée seule en ce lieu, elle se tenait là à pleurer. Ensuite, s’étant penchée pour regarder à l’intérieur du tombeau, elle voyait les deux anges, avant de voir aussi le Seigneur lui-même. Et comme elle se tenait là à pleurer, que ses dispositions d’esprit étaient humaines et basses, à l’idée que son corps avait été dérobé, et qu’elle nourrissait des pensées indignes à son sujet, il l’appelle d’abord « femme » pour lui faire reproche et la blâmer de sa réaction de femme. […]

Ensuite, comme elle s’était élancée pour s’approcher de lui en le tenant encore pour maître et non encore pour Dieu, il la repousse et l’écarte : ne me touche pas ! , car elle avait encore des pensées mortelles et n’était pas capable d’étreindre sa divinité. […] Ayant tiré un grand profit de ces paroles, elle s’éloigne de nouveau du tombeau : c’est la deuxième fois. Puis, après avoir raconté à l’autre Marie ce qu’elle a vu et, relate Jean, elle y est revenue avec elle : c’est la troisième fois. Et elle fut témoin de ce qui est mentionné chez Matthieu, non plus seule, mais en compagnie de l’autre Marie. […]

Puis, sur ces entrefaites, elle voit de nouveau le Seigneur lui-même, avec l’autre Marie ; et elle ne s’entend plus dire : ne me touche pas !, mais au contraire elle reçoit de lui l’ordre de se réjouir au lieu de pleurer (Mt 28, 9). Bien plus, il consent même à ce qu’elle le touche, puisqu’elle l’adore comme Dieu. […] Et ainsi, les saints évangiles disent ensemble la vérité, sans aucunement se contredire, lorsqu’ils mettent en scène la même Marie-Madeleine, qui d’abord ne touche pas le Sauveur, quand elle pleurait et ne croyait pas, et qui le touche lorsqu’elle recevait l’ordre de se réjouir ».

(Questions à Marin III, 3, 2-3)

Traits caractéristiques : Explication du Noli me tangere ; progression de la foi de Marie entre deux apparitions

« Étant donné qu’elle s’était élancée pour s’approcher de lui encore comme d’un maître et non comme de Dieu, il la repousse et l’écarte en disant : ne me touche pas (Jn 20, 17), car elle avait encore des pensées humaines et n’était pas capable d’étreindre sa divinité. De fait, il ne convenait pas que cette femme, encore en pleurs et qui le cherchait ici-bas, autour des tombeaux et des sépulcres, comme s’il s’agissait d’un mort, qui avait de lui une conception bassement humaine, fut admise à le toucher. Voilà pourquoi il donnait pour raison qu’il n’était pas encore monté vers son Père, – du moins en ce qui la concernait, puisqu’elle n’avait pas cru que cela s’était produit, mais pensait qu’il gisait en quelque endroit.

Noli me tangere- basilique ste Marie Madeleine à st Maximin

Aussi lui dit-il : ne me touche pas, puisque tu es dans de tels sentiments et que tu as de telles pensées à mon sujet ; car toi, tu ne crois pas encore en moi comme Dieu, tu me considères encore comme appartenant à ce bas monde. Ainsi, elle qui pleurait et le prenait pour le jardinier, l’a-t-il écartée en la réprimandant par le Ne me touche pas ; de même aussi en l’appelant « femme » et en disant Pourquoi pleures-tu ? (Jn 20, 15), – car pleurer celui qui est vivant ou plutôt la Vie même est le comble de la démence. Par ces mots donc, il la réprimandait ; mais, par ceux qui suivent, il l’instruisait de la nature divine qui était la sienne. […] Puis, après cette rencontre, elle voit de nouveau le Sauveur, en compagnie de l’autre Marie. C’est la deuxième rencontre. Elle ne l’entend plus dire alors : ne me touche pas, mais au contraire il lui ordonne de se réjouir au lieu de pleurer, et, qui plus est, il lui permet de le toucher, puisque précisément elle l’adore en tant que Dieu ».

EPHREM de Nisibe (ou le Syrien) (306-373) – (PG)

(Commentaire du Diatessaron 27)

Traits caractéristiques : Marie confondue avec la Vierge

« Avant son ascension, il a béni le pain pour Cléophas (Lc 24, 30), mangé avec ses disciples (Lc 24, 43) et montré son côté à Thomas (Jn 20, 27) ; pourquoi donc a-t-il empêché Marie de le toucher ? Peut-être parce qu’il l’avait confiée à Jean : Femme, voici ton fils (Jn 19, 29). Cependant, comme Marie était là pour le premier miracle, de même elle eut les prémices de la sortie des enfers. Ainsi, bien qu’elle ne l’ait pas touché, elle fut réconfortée ».

GREGOIRE de Nysse (335-394)

(Contra Eunomium 3,10) – (PG)

Traits caractéristiques : Nouvelle Eve

« Puisque c’est par une femme que fut inaugurée la séparation d’avec Dieu par la désobéissance, il convenait qu’une femme fût aussi le premier témoin de la Résurrection, afin que la catastrophe qui avait résulté de la désobéissance fût redressée par la foi en la Résurrection ».

AMBROISE de Milan (340-397) – (PL)

(Commentaire sur saint Luc X, 163)

Traits caractéristiques : Exégèse doctrinale – explication du Noli me tangere : la foi imparfaite de Marie (Cf. « Nota » ci-dessous)

« Marie-Madeleine est envoyée aux disciples, sans être encore en pleine possession de sa foi, du moins comme messagère. Mais il lui est interdit de le toucher, parce qu’elle n’avait pas encore appris avec Paul que la plénitude de la divinité habite dans le corps du Christ ; elle n’avait pas encore dépouillé l’incertitude du siècle, les doutes de la chair ; elle n’avait pas encore vécu la vie du Christ. Aussi bien celle-ci n’adore pas le Seigneur et ne lui prend pas les pieds, comme l’autre Marie : chez cette dernière, ce n’est pas tant l’hommage corporel que le mouvement d’une foi plénière qui se traduit : elle croit le Christ homme et Dieu tout ensemble ; car c’est Dieu qu’on adore, l’homme que l’on étreint ».

Nota :  Il fallait à Marie-Madeleine des pensées plus hautes, ne plus considérer le Ressuscité comme un homme mais reconnaître la transcendance de sa nature divine. Ainsi s’exprime aussi Photius de Constantinople ou, plus tard encore, Théophylacte de Bulgarie

(Commentaire sur saint Luc X, 156)

Traits caractéristiques : Marie nouvelle Ève

« De même qu’au début la femme fut l’instigatrice du péché pour l’homme consommant l’erreur ; de même à présent celle qui avait goûté la première la mort a vu la première la Résurrection. Selon l’ordre de la faute, elle fut la première au remède ; et pour n’avoir plus à subir sans fin devant les hommes l’opprobre de la culpabilité, ayant transmis la faute à l’homme, elle lui a transmis également la grâce ; elle compense le désastre de l’antique déchéance par l’annonce de la Résurrection. Les lèvres de la femme avaient autrefois donné passage à la mort ; les lèvres d’une femme donnent la vie ».

(Commentaire sur saint Luc X, 157 et 165)

Traits caractéristiques : Messagère ou enseignante : évangélisation des Apôtres (Cf. « Nota » ci-dessous)

« Mais comme elle (la femme) a trop peu de constance pour prêcher, comme son sexe est trop faible pour exécuter, c’est aux hommes qu’est remise la fonction d’évangéliser. […]  Que veut donc dire : Ne me touche pas ?  Ne mets pas la main aux grandes choses ; mais va vers mes frères, c’est-à-dire les plus parfaits […], parce que la Résurrection ne peut être aisément saisie que par les parfaits. La prérogative de cette foi est réservée aux mieux affermis : quant aux femmes, je ne leur permets pas d’enseigner dans l’église ; qu’elles interrogent leurs maris à la maison (1 Tm 2, 12). Elle est donc envoyée à ceux de la maison ; elle a accueilli les ordres qui lui ont été donnés ».

Nota :   Qu’une femme puisse enseigner et accéder à une connaissance parfaite du Christ n’allait pas de soi ni sans réticences (Cf. réaction d’André et de Pierre dans l’Évangile de Marie, apocryphe du IIe s). Très tôt, l’institution ecclésiastique devait minorer cette mission évangélisatrice et de bien circonscrire le ministère des femmes au sein de l’Église…

THÉODORE de Mopsueste, Antioche (350 – 428) – (PG)

(Commentaire sur l’évangile de Jean)

Traits caractéristiques : Enseignement doctrinal : distinction de deux natures dans le Christ

« Les mots : Vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu (Jn 20, 17), personne n’est assez fou pour dire qu’ils se rapportent à un autre qu’au temple du Dieu Verbe, à l’homme assumé pour notre salut, qui est mort, qui est ressuscité et qui allait monter aux cieux, et qui, comme ses disciples, appelait Dieu son Père, parce qu’il avait, lui aussi, mérité par grâce l’adoption. Et il l’appelle également son Dieu, parce qu’il a reçu de lui, comme tous les hommes, qu’il le fût. C’est donc en raison de cette communauté de nature qu’il dit mon Père et votre Père et mon Dieu et votre Dieu ; mais il a séparé sa propre personne de la leur, en indiquant qu’il avait reçu une grâce plus grande, en vertu de laquelle, par sa conjonction au Dieu Verbe, il reçoit l’honneur de tous les hommes en tant que Fils véritable. Après ces mots, Marie vint annoncer aux disciples qu’elle avait vu le Seigneur et ce qu’il lui avait dit (Jn 20, 18) ».

AUGUSTIN d’Hippone (354-430) – (PL)

(Commentaire sur l’évangile de Jean 121,3)

Traits caractéristiques : Exégèse doctrinale – Noli me tangere : Marie ne croyait pas encore au Fils égal au Père

« Ou bien ces paroles : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père(Jn 20, 17) ont été dites en ce sens que cette femme était la figure de l’Église issue des nations païennes, qui n’a cru dans le Christ qu’après qu’il fut monté vers le Père, ou-bien Jésus a voulu montrer que croire en lui, c’est-à-dire le toucher spirituellement, c’est croire que lui et le Père sont un (Jan 10, 30). De fait, celui qui a progressé en lui jusqu’à reconnaître qu’il est égal au Père monte bien d’une certaine manière vers le Père par ses sentiments intérieurs ; autrement, on ne le touche pas comme il faut, c’est-à-dire autrement, on ne croit pas en lui comme il faut. Or Marie pouvait croire en pensant qu’il était inégal au Père : c’est là évidemment qu’il lui défend en disant : Ne me touche pas, c’est-à-dire ne crois pas en moi selon l’opinion que tu as encore de moi, n’élève pas ton esprit jusqu’à ce que je me suis fait pour toi en négligeant ce par quoi tu as été faite. Comment en effet ne croyait-elle pas encore charnellement en celui qu’elle pleurait comme un homme ?  Je ne suis pas encore monté vers mon Père, dit-il ; tu me toucheras quand tu croiras que je suis Dieu, non égal au Père ».

(Commentaire sur l’évangile de Jean 12-1,3)

Traits caractéristiques : Enseignement doctrinal : le Christ à la fois personne trinitaire et Verbe incarné

« Je monte vers mon Père et votre Père. Il n’a pas dit : Notre Père ; il est donc autrement mon Père et autrement votre Père : il est mon Père par nature, il est votre Père par grâce. Vers mon Dieu et votre Dieu (Jn 20, 17). Ici non plus, il n’a pas dit Notre Dieu ; il est donc aussi autrement mon Dieu et autrement votre Dieu ; il est mon Dieu sous la dépendance de qui je suis, moi aussi, comme homme ; il est votre Dieu et je suis le médiateur entre vous et lui (1Tm 2,5) ».

LEONCE de Constantinople (VIe s) – (PG)

(Homélie pascale I, 3)

Traits caractéristiques : Marie et les femmes magnifiées

« Aujourd’hui le Christ, notre Maître, ressuscité des morts au plus profond de la nuit, est apparu d’abord à Marie-Madeleine et à l’autre Marie en leur disant : « Réjouissez-vous » (Mt 28,9), et que se réjouissent à cause de vous toutes celles de votre sexe. […] Certains diront assurément : « Pourquoi le Seigneur, ressuscité d’entre les morts, n’a-t-il pas été vu d’abord par les apôtres mais par les femmes, et leur a dit : « Réjouissez-vous » ? Pourquoi ? – pour cette raison précisément : parce que l’affliction a fleuri par une femme, le Seigneur, de nouveau par une femme, a fait germer la joie, afin que soit accomplie la parole qui disait : Là où le péché avait abondé, la grâce a surabondé (Rm 5, 20) ».

ROMANOS LE MÉLODE d’Émèse/Homs – Constantinople (493- 556) – (PG)

(Hymnes 40,12 sur la résurrection)

Traits caractéristiques : Marie évangélisatrice des apôtres – Messagère ou enseignante

« Que ta langue désormais publie ces choses, femme, et les explique aux fils du royaume qui attendent que je m’éveille, moi, le Vivant. Va vite, Marie, rassembler mes disciples. J’ai en toi une trompette puissante : sonne un chant de paix aux craintives oreilles de mes amis cachés, éveille-les tous comme d’un sommeil, afin qu’ils viennent à ma rencontre et qu’ils allument des torches. Va dire : « L’Époux s’est éveillé, sortant de la tombe, sans rien laisser au-dedans de la tombe. Chassez, apôtres, la tristesse mortelle, car il est réveillé, celui qui offre aux hommes déchus la résurrection » ».

(Hymnes 43, 15)

Traits caractéristiques : Doctrine reprise dans les hymnes liturgiques afin d’augmenter sa diffusion

« Vite, hâte-toi d’annoncer à mes disciples que je vais maintenant me rendre auprès de mon Père et de votre Père : votre Père selon la grâce, mon Père selon la nature, car il n’existe pas non plus de temps où je n’aie pas existé, moi, mais commun avec le Père et l’Esprit est l’honneur que je reçois, moi qui ai anéanti les armes de Bélial, la victoire de l’Enfer et l’aiguillon de la Mort ».

(Hymne 40 sur la Résurrection)

Traits caractéristiques : Hymne liturgique

« Le Seigneur qui voit tout, voyant Madeleine vaincue par les sanglots, accablée de tristesse, en eut le cœur touché et se montra à la jeune fille ; il lui dit : Femme pourquoi, pleures-tu ? Qui cherches-tu dans le tombeau ? Alors Marie se retourna et lui dit :  » je pleure, car on a enlevé mon Seigneur du tombeau et je ne sais où il repose…il est mon maître, il est mon Seigneur, lui qui offre aux hommes déchus la résurrection « . Celui qui sonde les reins et les cœurs, sachant que Marie reconnaîtrait sa voix, appela la brebis, lui, le pasteur véritable :  » Marie », dit-il et aussitôt elle le reconnut :  » c’est bien lui mon bon pasteur qui m’appelle pour me compter désormais avec les quatre-vingt-dix-neuf brebis. Car je sais bien qui il est, celui qui m’appelle : je l’avais dit, c’est mon Seigneur, c’est celui qui offre aux hommes déchus la résurrection « .

104 – Le Seigneur dit à Marie :  » Que ta bouche désormais publie ces merveilles, femme, et les explique aux fils du Royaume qui attendent que je m’émerveille, moi le Vivant ; va. Marie, rassemble mes disciples… éveille-les tous comme d’un sommeil afin qu’ils viennent à ma rencontre avec des flambeaux allumés. Va dire : l’Epoux s’est éveillé… celui qui offre aux hommes la résurrection « . « Mon deuil s’est soudain transformé en liesse, tout m’est devenu joie et allégresse  » s’écrie Marie.  » Je n’hésite pas à le dire : j’ai reçu la même gloire que Moïse ; j’ai vu, oui j’ai vu, non sur la Montagne, mais dans le sépulcre… le maître des incorporels et des nuées, celui qui est, qui était et qui vient, me dire : hâte-toi Marie, va révéler à ceux qui m’aiment que je suis ressuscité… Il est revenu à la vie, celui qui offre aux hommes déchus la résurrection  » ».

GREGOIRE LE GRAND (560-604) – (PL)

(Homélies sur les Évangiles 25,6)

Traits caractéristiques : Invitation à suivre l’exemple de Marie

« La raison pour laquelle il ne doit pas être touché est donnée dans la suite du texte : Je ne suis pas encore monté vers mon Père (Jn 20,17). En effet, Jésus monte vers son Père dans notre cœur, lorsque nous le croyons égal au Père. Au cœur de celui qui ne le croit pas égal au Père, dans son cœur le Seigneur n’est pas encore monté vers le Père. Il touche donc Jésus pour de bon, celui qui croit le Fils éternel comme le Père ».

(Homélies sur les Évangiles 25,6)

Traits caractéristiques : Marie : nouvelle Ève

« Marie-Madeleine vint annoncer aux disciples : J’ai vu le Seigneur et voici ce qu’il m’a dit(Jn 20, 18). La faute du genre humain est détruite là où elle avait pris naissance : au Paradis, en effet, une femme a offert la mort à l’homme (Cf. Gn 3,7) ; au tombeau, une femme annonce aux hommes la vie ; elle rapporte les paroles de celui qui lui rend la vie, celle qui avait rapporté les paroles du serpent mortifère. C’est comme si le Seigneur disait au genre humain non en paroles, mais par un acte : « De la main même qui vous a versé une boisson de mort, recevez la coupe de la vie » ».

PHILAGATHOS de Cérami (XIIe s.) – (PG)

(Homélie 31)

Traits caractéristiques : Messagère ou enseignante ; les Saintes Femmes apôtres pour les apôtres

« Je n’ignore pas que certains n’hésitent pas à blâmer ceux qui disent que les myrophores sont des évangélistes et des hérauts de la Résurrection, sous prétexte que Paul ne confie pas aux femmes le soin d’enseigner. Celles-ci n’auraient pas enseigné les apôtres, mais les auraient avertis… Puisque notre aïeule, dans le paradis, avait donné à l’homme un mauvais enseignement, ses petites-filles ont excellemment enseigné les apôtres ».


Note* (St Augustin) 6. Nam plus addo : et discubituri sumus, quod utique nec sedere nec stare est. Discumbemus. Non auderem dicere, nisi promitteret Dominus: Faciet eos discumbere. Promittens magnum praemium servis suis: Faciet eos discumbere, inquit, et transiens ministrabit eos. Haec nobis vita promittitur, quia faciet nos discumbere Dominus, et transiens ministrabit nobis. Hoc etiam dictum est, cum esset filius centurionis fides mirata atque laudata: Amen dico vobis, quia multi ab Oriente et Occidente venient, et recumbent cum Abraham, Isaac et Iacob in regno caelorum. Magna promissio, felix, redditio. Agamus ut mereamur, adiuvemur ut valeamus illo pervenire, ubi nobis discumbentibus Dominus ministrabit. Quid enim, erit discumbere, nisi requiescere? et quid erit ministrare, nisi pascere? Quis ille cibus est? quis ille potus est? Nimirum ipsa veritas. Ille cibus reficit, nec deficit: pascit, et pascendo integros facit; nec consumitur in eum quem pascit, sed manens integer integrat. Non credis quoniam sic potest pascere Deus, cum modo ab isto lumine sic pascatur oculus tuus? Oculus tuus pascitur luce. Multi videant, tanta est illa; pauci videant, tanta est illa; et illi reficiuntur oculi, et ipsa non deficit. Sumit inde, nec minuit; carpit, nec praecidit. Haec lux potest oculo, et Deus non potest homini commutato? Potest, plane potest; quare nondum capitis? Quia circa multa occupati estis; negotium Marthae vos occupavit, immo omnes nos. Quis enim ab hoc ministerio subveniendi vacat? quis ab hac cura respirat? Innocenter hoc agamus, caritate agamus; veniet etiam illud, ut discumbamus, et transit, et ministrabit nobis. Non enim tunc nobis ministraret, nisi hinc ad Patrem transiret; hic enim erat, quando promittebat. Et ne tale aliquid nobis exhibiturum arbitraremur, qualem formam servi contemplabamur: Transiens, inquit, ministrabit eis. Et Evangelista de hoc transitu: Cum autem venisset hora, ut Iesus transiret de hoc mundo ad Patrem. Tanto tempore, ait, vobiscum sum, et non cognovisti me? Si sciret quid audiret, responderet: Non cognovi, quia nondum transisti. Unde et Mariae dicitur post resurrectionem: Noli me tangere, nondum enim ascendi ad Patrem.

Tableau conservé dans la sacristie de la Basilique de St Maximin