tradition orientale

Une vie grecque de Marie-Madeleine, manuscrit 93 de Holkham (François Halkin)

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Les destructions qui ont suivi l’effondrement des Empires romain d’Orient, puis byzantin, n’ont rien à envier aux ravages perpétrés par les Sarrazins, souvent invoqués par les Occidentaux pour justifier l’indigence documentaire relative à la première évangélisation de la Gaule. Ces destructions se poursuivent encore de nos jours, sous des formes tout aussi violentes, dans les pays qui ont vu naître le Christianisme tels la Syrie ou l’Irak actuels. L’Asie Mineure, devenue la Turquie, connut encore au siècle dernier, des ravages comparables.

Au-delà du Bosphore pourtant, dans une région qui fut le berceau de l’Eglise naissante, s’est forgée la Doctrine du Christ, avec les premiers Conciles Œcuméniques. Et c’est aussi dans cette Asie qu’apparurent les premières déchirures de l’Eglise, amplifiées plus tard par la rupture définitive entre l’Eglise latine (Rome, Catholique) et l’Eglise grecque (Constantinople, Orthodoxe).

C’est donc dans ce contexte tourmenté et pollués par les rivalités que sont nées, au fil des siècles, des traditions propres à chacune de ces Eglises. Traditions parfois divergentes mais souvent « compatibles » entre elles ; en tous cas, toujours respectables et dignes d’intérêt.

Outre Jérusalem, influencée un temps par l’origine juive de ses membres (les Apôtres et les Disciples étaient tous des Juifs pratiquants) et des tentations dynastiques (ses premiers dirigeants, tels Jacques et Siméon, appartenaient à la parentèle de Jésus), les premières Eglises apostoliques ont toutes vu le jour dans les métropoles de l’époque qu’étaient Antioche, Ephèse et Alexandrie.

L’évangélisation progressive des juifs hellénisés puis des païens se propagea donc d’abord en Orient. Dès l’instauration du christianisme comme unique religion licite dans tout l’Empire romains, l’influence de l’Eglise « byzantine », dirigée depuis Constantinople (capitale de l’Empire romain d’Orient) et accentuée par l’effondrement de l’Empire romain d’Occident, devint rapidement prépondérante en Orient, d’autant que la plupart des Eglises rompaient, les unes après les autres, avec l’Eglise romaine.

L’Eglise grecque – et avec elle, l’ensemble des Églises orientales – vénérait les Apôtres et les premiers disciples, notamment Marie-Madeleine  » l’Apôtre des apôtres « . Les orientaux n’ont jamais vraiment contesté le départ de saints palestiniens vers l’Occident (les critiques les plus vives venant généralement d’Occident) puisque les instructions reçues de Jésus leur imposaient d’apporter la lumière de l’Evangile aux nations jusqu’aux extrémités de la Terre. Mais ils acceptaient plus difficilement que les principaux d’entre eux ne retournent pas, un jour ou l’autre, dans leur patrie d’origine.

MARIE MADELEINE A ÉPHÈSE

Il en est ainsi de Marie-Madeleine, la sainte parmi les plus emblématiques, dont personne en Palestine ne savait ce qu’elle était devenue. Il était alors considéré comme normal qu’Ephèse, la troisième plus grande ville d’Orient après Alexandrie et Antioche, qui abritait déjà depuis l’antiquité le plus grand sanctuaire dédié à une femme – la déesse Artémis – comptant parmi les sept Merveilles du Monde, revendique la présence en ses murs des deux principales femmes de l’Evangile – la Vierge Marie et Marie-Madeleine – puis, avec la présence avérée de saint Jean, « Apôtre de l’Asie », des trois principaux témoins de la Résurrection.

L’authenticité de la venue à Ephèse de la Vierge et de Marie-Madeleine repose sur des traditions qui s’avèrent, à l’examen, très fragiles. Les auteurs orientaux qui évoquent ces traditions sont prudents et ne sont jamais affirmatifs dans leurs écrits. Ils ont néanmoins trouvé des soutiens inattendus parmi les auteurs occidentaux qui les invoquaient pour fustiger les traditions occidentales, auxquelles ils ne croyaient pas et qu’ils critiquaient. Nous n’entrons pas ici dans cette polémique, nous limitant à présenter les textes qui évoquent cette tradition souvent méconnue.

ROME-ALEXANDRIE-ANTIOCHE-JERUSALEM…

Mais avant de parvenir à Ephèse, Marie-Madeleine a fait un long voyage. Bien entendu, elle est venue à Rome et à Marseille puisqu’on ne pouvait pas totalement écarter une tradition qui semblait déjà connue en Orient. Elle se devait aussi de visiter les grandes places orientales dans lesquelles les Apôtres avaient fondé leurs premières Eglises, telles Alexandrie et Antioche. Elle connut aussi les difficultés de l’Eglise primitive à Jérusalem et visita, à sa manière, quelques-unes des régions qui accueillirent plus tard saint Paul.

En Orient, l’identification de Marie-Madeleine – à deux, voire trois femmes distinctes – n’a pas toujours été aussi radicale que les occidentaux se l’imaginaient. Un empereur du IXs.  – Léon VI le Sage – à même voulu réunir dans une église-monastère construit spécialement à cet effet, les restes de Marie-Madeleine (conservés à Ephèse) et de son frère Lazare, dont le tombeau venait d’être découvert à Chypre. Lazare est très populaire en Orient. Outre sa fête, célébrée avec celle de ses sœurs, c’est lui qui clôt le Grand Carême : le Samedi de Lazare, veille des Rameaux, fêté chez tous les orthodoxes comme jour de la Résurrection.

Une autre figure orientale est particulièrement vénérée le dernier dimanche de Carême : Marie l’Egyptienne, dont la vie rapportée par la tradition, n’a pas été sans incidence sur celle de la Madeleine, notamment en Occident.

LA LÉGENDE DES SEPT DORMANTS

Ephèse et Marie-Madeleine sont aussi associées à une autre légende, largement partagée avec les musulmans : celle des Sept Dormants d’Ephèse. Ces jeunes gens, qui fuyaient les persécutions et s’étaient trouvés enfermés dans une caverne – à l’entrée de laquelle se trouvait la tombe de Marie-Madeleine – s’étaient ensuite réveillés, sans avoir eu conscience de leur long sommeil, trois cents ans plus tard pour découvrir les progrès qu’avait fait le christianisme.

Une évidence semble progressivement s’imposer : en Orient, le rôle central joué par Ephèse dans l’Eglise naissante, ajouté au rayonnement et à l’immense prestige dont jouissait la cité depuis la plus haute antiquité, rendait difficilement audible les revendications venues de Marseille…

DÉVELOPPEMENT – TRADITIONS ORIENTALES

Table des Matières

Les traditions (cliquez ici)

Turquie : berceau du Christianisme (cliquez ici)

Éphèse (cliquez ici)

« Vies » de sainte Marie Madeleine (cliquez ici)

Voyager dans l’antiquité (cliquez ici)

Rome (cliquez ici)

Jérusalem (cliquez ici)

Périple de Marie-Madeleine en Méditerranée orientale (Egypte, Phénicie, Syrie, Pamphylie, Lycie) (cliquez ici)

Arrivée à Éphèse (cliquez ici)

Le tombeau de Marie-Madeleine (cliquez ici)

Le tombeau des Sept Dormants d’Éphèse (cliquez ici)

Saint Lazare dans l’Écriture et la Tradition (Béthanie, « Vie » de St Lazare, Reliques, Monastère à Constantinople) (cliquez ici)

Marie l’Égyptienne (vie au désert, grottes sacrées) (cliquez ici)

Conclusion (cliquez ici)

Notes… 


On ne compte plus les ouvrages hagiographiques, historiques ou exégétiques qui abordent ce personnage, parmi les plus attachants du Nouveau Testament. Alors que beaucoup d’occidentaux imaginent Marie-Madeleine retirée du monde dans une vie de pénitence ou de contemplation,[1] nombre d’orientaux la voient plutôt en quête d’épanouissement spirituel dans le sillage de la Vierge et de saint Jean.[2]

LES TRADITIONS

Aucun Père de l’Église ni auteur dit « moderne » n’évoque une quelconque « Tradition orientale » avant Grégoire de Tours » l’homme le mieux renseigné de son temps «  affirme Mgr Duchesne [3]. Et encore, Grégoire demeure-t-il très prudent :  » In ea urbe (Éphèse), ut creditur, Maria Magdalenae quiescit, nullum super se tegumen habens » [4]. La formule « ut creditur »« On dit », ou « certains croient », souligne cette incertitude. De plus, Grégoire n’est jamais allé à Éphèse. Il indique lui-même « qu’il ne connaît ce tombeau que par le voyageur syrien qui l’avait aidé à transcrire les Actes des Sept Frères Dormants d’Éphèse » [5] et rien n’est dit dans le texte au sujet de ce mystérieux voyageur syrien. Nous reviendrons plus loin sur ce point.

En Orient, les textes hagiographiques les plus anciens, qui correspondent à peu près aux Martyrologes de l’Église latine, ont été compilés dans des Synaxaires. Outre des notices sur la vie des saints, le calendrier des fêtes et les lectures appropriées pour chacune d’elles, les Synaxaires contiennent des « péricopes » lues indépendamment de leur contexte, en général lors de lectures publiques. Victor Saxer, qui ne peut pas être soupçonné d’être un auteur favorable à la Tradition de Provence, indique que les plus anciens manuscrits ne peuvent pas être antérieurs au Xs.[6]

Toutes les « pérégrinations » de la Madeleine hors de Palestine, décrites dans ces documents, nous ramènent immanquablement à Éphèse. Nombreux sont les auteurs (tous postérieurs à Grégoire) conjecturant que la Sainte n’aurait jamais quitté la Palestine [7]mais aucun d’eux n’est parvenu à identifier une quelconque tradition concernant le lieu supposé de son tombeau, hors ceux revendiqués par les Bourguignons (Vézelay) ou les Provençaux (Saint-Maximin) dans la « Tradition occidentale », ou par Éphèse dans la « Tradition orientale ».

Il est également constant que les orientaux n’ont jamais nié la venue de Marie-Madeleine en Occident (à Rome pour rencontrer Tibère ou à Marseille) mais, alors que la Tradition Provençale la retenait à la Sainte-Baume et à Saint-Maximin, la Tradition Orientale lui faisait poursuivre son périple et son œuvre d’évangélisation jusqu’à Éphèse.

Turquie : berceau du Christianisme

A l’époque romaine, Éphèse [8]était l’une des principales villes d’Orient avec Antioche [9] et Alexandrie en Égypte. Constantinople (Istanbul), fondée trois siècles plus tard par l’empereur Constantin sur le site de Byzance [10], n’était alors qu’une ville secondaire.

Alors que Jacques, « le Frère de Seigneur », dirige la petite communauté de Jérusalem restée fidèle à la Loi mosaïque [11], saint Pierre s’ouvre résolument à la diaspora [12] et – plus timidement – aux « gentils »[13] Il fonde sa première « Église » à Antioche où, pour la première fois, les fidèles sont qualifiés de « Chrétiens ».

Saint Paul, né à Tarse[14], effectue quant à lui ses conversions dans les diverses provinces d’Anatolie[15]. Il demeure trois années à Éphèse avant de se décider à franchir le Bosphore. Saint Jean s’installe également à Éphèse, peut-être avec la Vierge Marie, puis s’exile dans l’île de Patmos à quelques encablures d’Éphèse, où il rédige son Apocalypse.

En 313, Constantin (280-337,statue ci-contre) fait cesser les persécutions [16]. En 380, depuis Constantinople Théodose (347-395) impose le christianisme dans tout l’Empire romain [17]. Il est intéressant de préciser qu’à cette date, le royaume d’Arménie (Anatolie orientale) l’avait déjà adopté depuis un demi-siècle [18].

Les premiers Conciles œcuméniques, convoqués par l’Empereur pour définir la Doctrine du Christ et prévenir les conflits entre chrétiens, se tiennent tous à Constantinople ou dans la région. Ainsi Nicée[19] (325) condamne l’Arianisme [20] et Constantinople (381) consacre la Trinité [21]. A Éphèse (431) et à Chalcédoine [22] (451), les évêques s’affrontent sur les natures humaine et divine du Christ, provoquant les premières grandes déchirures de l’Église [23]. Les conciles suivants, tenus à Constantinople (553 et 680), confirment les décisions antérieures et condamnent les hérésies qui en étaient issues [24]. Enfin Nicée (787), condamne les Iconoclastes. [25]

Aujourd’hui, mis à part le Patriarcat de l’Église grecque orthodoxe au Phanar (Istanbul) – sans auto-nomie territoriale ni pouvoir politique – il n’y a quasiment plus de chrétiens en Turquie. Les Églises Grecque (Byzantine) et d’Antioche (Églises Syriaques), comme celle d’Arménie (Anatolie orientale) ont été persécutées [26] ou ont dû s’exiler hors de Turquie. Le drame actuel des chrétiens d’Orient qui fuient la Syrie et l’Irak procède de la même logique. Pour l’Occident chrétien, le risque est grand d’oublier ses origines orientales.

Éphèse

Capitale de la Province d’Asie, Éphèse était un centre politique, commercial, intellectuel et religieux très important. Dans le Christianisme oriental, Éphèse tient une place particulière… et essentielle. Située sur la rive gauche de l’Asie, patrie d’Héraclite et d’Artémidore (lointain précurseur de Freud, souvent évoquée à propos de la Caverne des Sept Dormants d’Éphèse), la ville est aussi celle de la femme. Artémis, la déesse vierge [27], et les Amazones, y étaient vénérées depuis l’antiquité. Le temple d’Artémis, considéré comme l’une des sept Merveilles du Monde, est le plus connu de tout l’Orient ; saint Paul y connut quelques déboires…[28] ; et saint Jean y écrivit son Évangile.[29]

Pour l’Église latine (et byzantine), elle est la ville où fut proclamée la maternité divine de Marie ; son titre de Théotokos (Mère de Dieu), y est devenu définitif lors du Concile d’Éphèse en 431. Le fait que le concile se réunisse à Éphèse, dans une église déjà dédiée à Ste Marie pour définir la Théotokos milite, a minima, en faveur d’un séjour de la Vierge en ce lieu avec saint Jean. Il n’est donc pas surprenant d’y trouver un Tombeau de la Vierge, en quelque sorte « concurrent » à celui de Jérusalem. Il n’est pas non plus surprenant que la Tradition orientale ait souhaité réunir à Éphèse les deux principales femmes de l’Évangile que sont la Vierge et Marie-Madeleine ; et avec saint Jean, les trois principaux témoins du « Coup de Lance » [30] au Calvaire !

« Vies » de sainte Marie Madeleine

Victor Saxer, s’en tenant au Synaxaire de Constantinople, dans l’une de ses versions anciennes [31], propose la traduction suivante :

 » Souvenir de sainte Marie Madeleine, la Myrophore, qui était allée au-devant du Christ et l’avait suivi. Elle était de Magdala, aux confins de la Syrie. Tourmentée par sept démons, elle en fut délivrée par la grâce de Dieu. Aussi, s’étant mise à la suite et au service du Christ jusqu’à sa passion, elle devint myrophore. Elle fut la première, avec l’autre Marie, la Mère de Dieu, à voir la résurrection, lorsque, le soir du sabbat, elle vit l’ange, et le matin, les deux anges assis, vêtus de blanc, et en se retournant, le Seigneur lui-même qu’elle avait pris pour le jardinier et qu’elle entendit lui dire : Ne me touche pas. Après la divine et sainte ascension du Christ Sauveur, elle s’en fut à Éphèse auprès de saint Jean le théologien, apôtre et évangéliste, elle y mourut et fut déposée près de l’entrée de la grotte, dans laquelle ont reposé, saints et bienheureux, les sept dormants. Finalement, sous Léon par la grâce de Dieu notre empereur, le corps saint fut transféré et enterré dans le monastère de saint Lazare, construit par les soins du basileus. Tous les ans on y célèbre l’office en l’honneur de la sainte  » [32]

Le contenu des Synaxaires a évolué au cours des temps, notamment par l’ajout de péricopes aux premières notices, mais ils n’ont pas été fondamentalement modifiés [33]. Des variantes peuvent exister entre les diverses Églises orientales mais celui de Constantinople demeure la référence. Voici le texte actuel de l’Église grecque :

22 juillet : célébration de la mémoire de la « Sainte Myrophore – Égale-aux-Apôtres Marie Madeleine »

Source : Sinaxaire de Constantinople et Vie des Saints de l’Église orthodoxe, par le hiéromoine Macaire, monastère de Simonos Pétra au Mont Athos

 » Magdala (ou Magada ou Dalmanoutha), petit village de pêcheurs situé sur la rive occidentale du lac de Génésareth, à cinq kilomètres de la ville de Tibériade, était la patrie de Sainte Marie-Madeleine. Vierge fortunée, elle vécut dans la crainte de Dieu et l’observation de Ses commandements, jusqu’au jour où elle se trouva possédée de sept démons [34] (Marc 16:9; Luc 8:2). Affligée et ne pouvant trouver aucun répit, elle apprit que Jésus-Christ était parvenu dans la contrée, après avoir traversé la Samarie, et qu’Il attirait de grandes foules à Sa suite, par Ses miracles et Son enseignement céleste. Pleine d’espoir, elle courut vers Lui et, ayant assisté au miracle de la multiplication des pains et des poissons, en nombre suffisant pour nourrir plus de quatre mille hommes (Mat. 15:30-39), elle alla se jeter aux pieds du Sauveur et lui demanda de la guider sur la voie de la vie éternelle.

Ayant été délivrée de cette épreuve, elle renonça à ses biens et à tout attachement au monde pour suivre Jésus dans tous ses périples, avec les Apôtres, la Mère de Dieu et d’autres pieuses femmes qui s’étaient mises à son service après avoir été guéries par lui de diverses maladies : Marie, mère de Jacques le petit et de Joset; Marie de Clopas; Jeanne, femme de Chouza, Suzanne, et Salomé, mère des fils de Zébédée.

Lorsqu’Il eut rempli Son ministère en Galilée, le Seigneur Se dirigea vers Jérusalem, malgré les avertissements de ses proches. Marie Madeleine le suivit sans hésitation, et se lia d’amitié avec Marthe et Marie de Béthanie. Alors que le Seigneur venait de délivrer un possédé qui était muet, et affirmait qu’Il chassait les démons par l’Esprit de Dieu, une voix s’éleva de la foule et s’écria: « Heureuses les entrailles qui T’ont porté, et les seins qui T’ont allaité! » (Luc 11:27). Cette voix, suppose-t-on, était celle de Marie-Madeleine[35]. Elle était présente également lors de la résurrection de Lazare, et fut alors confirmée dans sa foi au Fils de Dieu. Tandis que les autres disciples avaient abandonné le Maître au moment de Son arrestation, elle le suivit jusque dans la cour du grand prêtre puis au tribunal de Pilate, elle assista à Son procès inique, à Sa Passion et se tint auprès de la Croix, en compagnie de la Mère de Dieu et de Saint Jean le Théologien (Jean 19:25).

Tout étant accompli et le sang du Sauveur ayant coulé de Son côté pour purifier la terre, Marie, surmontant la douleur, prit l’initiative de Son ensevelissement. Sachant que le noble conseiller, Joseph d’Arimathie (cf. 31 juillet), avait fait creuser près de là un tombeau neuf dans le roc, elle alla le trouver et le convainquit de céder ce sépulcre pour ensevelir le Crucifié. Encouragé par la foi résolue de cette femme, Joseph obtint l’autorisation de Pilate et, prenant avec lui Nicodème, le membre du Sanhédrin qui était disciple secret de Jésus, il descendit Le Corps de la Croix et le déposa dans un linceul pour le mettre au tombeau. Marie-Madeleine ainsi que la Mère de Dieu assistaient à la scène et elles élevèrent alors une hymne funèbre, accompagnée de larmes, dans lesquelles brillait cependant l’espoir de la Résurrection [36]. Une fois le tombeau fermé par une grosse pierre qu’on avait roulée à l’entrée, Joseph et Nicodème se retirèrent; mais les deux Saintes femmes restèrent assises, en pleurs en face du tombeau, jusque tard dans la nuit. En quittant l’endroit, elles décidèrent, sitôt le repos du sabbat expiré, de revenir au tombeau avec des aromates, pour embaumer une fois encore le corps du Sauveur (Marc 16:1).

Ayant donc observé le repos légal, au chant du coq, alors que le premier jour de la semaine commençait à peine à poindre, Marie-Madeleine et l' »autre Marie » [37] vinrent au sépulcre. Un Ange resplendissant leur apparut, accompagné d’un tremblement de terre, et leur annonça que Jésus ne se trouvait plus à l’intérieur, mais qu’Il était ressuscité (Mat. 28:1). Toutes troublées, elles ne prirent pas même le temps de regarder dans le tombeau et coururent porter la nouvelle aux Apôtres. Le Seigneur ressuscité leur apparut en chemin et les salua en disant : « Réjouissez-vous! » Il convenait en effet qu’Il annonçât à une femme la délivrance de notre nature, déchue et condamnée à la souffrance à la suite de la faute d’Ève.

En entendant leur récit, les Apôtres crurent qu’elles déliraient. Pierre, cependant, courut jusqu’au sépulcre et, se penchant, vit que seules les bandelettes s’y trouvaient, et il se retira tout perplexe. Le jour s’étant levé, Marie-Madeleine se rendit pour la seconde fois sur les lieux, afin de vérifier si elle n’avait pas été victime d’une hallucination. Constatant que le tombeau était effectivement vide, elle alla l’annoncer derechef à Pierre et Jean, qui se rendirent en courant sur les lieux. Une fois les deux disciples repartis, elle resta seule près du tombeau, se demandant qui avait bien pu enlever le corps (Jean 20:11). Deux Anges vêtus de blancs apparurent alors à l’emplacement de la tête et des pieds du Seigneur, et lui demandèrent pourquoi elle pleurait. Comme elle leur répondait, les Anges se levèrent soudain, avec respect. Marie se retourna et vit Jésus qui lui posa la même question. Le prenant pour le jardinier, elle demanda si c’était Lui qui avait enlevé le corps. Mais dès que Jésus l’eut appelée par son nom: « Marie », reconnaissant la voix de son bien-aimé Seigneur, elle s’écria :  » Rabbouni  » (Maître) ! et voulut se jeter à Ses pieds pour les baiser. Désirant l’attirer à une compréhension plus élevée de l’état dans lequel se trouvait Son corps après la Résurrection, Jésus lui dit: « Ne me touche pas, car Je ne suis pas encore monté vers le Père! » Et Il l’envoya annoncer à Ses « frères » ce qu’elle avait vu.

Devenue pour la troisième fois « apôtre des Apôtres », Marie-Madeleine resta avec les disciples et la Mère de Dieu, partageant leur joie. Elle était probablement présente au Mont des Oliviers, lors de l’Ascension, tout comme dans la chambre haute, le jour de la Pentecôte, quand le Saint-Esprit descendit sous forme de langues de feu [38].

On raconte que la Sainte quitta ensuite Jérusalem, pour se rendre à Rome et y demander justice à l’empereur Tibère de la condamnation inique prononcée par Pilate [39]. Se présentant devant l’empereur avec un œuf en main, elle lui déclara qu’après avoir souffert la Passion, le Christ était ressuscité, apportant à tous les hommes la promesse de la résurrection; et l’œuf se teignit alors en rouge [40] . Le souverain écouta sa requête et convoqua Pilate, ainsi que les grands prêtres Anne et Caïphe. Caïphe mourut en route, en Crète; quant à Anne, il fut supplicié en étant enfermé dans une peau de buffle. Pilate, s’étant présenté au tribunal de l’empereur, essaya de se justifier en avançant les pressions exercées par les Juifs et le risque de rébellion contre l’autorité romaine. Mais César [41] resta insensible à son apologie et le fit jeter en prison. On rapporte que, poursuivant un cerf au cours d’une partie de chasse, organisée non loin de la prison par des amis de Pilate, l’empereur décocha une flèche qui alla frapper Pilate en plein cœur. De retour à Jérusalem, Marie-Madeleine suivit l’enseignement de Saint Pierre. Quatre ans s’étant écoulés depuis la Résurrection, et les Apôtres s’étant dispersés dans diverses régions du monde, elle se joignit à Saint Maxime, l’un des Soixante-Dix Disciples, pour aller prêcher la Bonne Nouvelle.

Ils furent bientôt arrêtés par les Juifs et abandonnés, avec d’autres Chrétiens, en pleine mer, sans nourriture, dans un bateau dépourvu de voile et de rames [42]. L’embarcation fut cependant guidée par le Christ, le Pilote de notre Salut, jusqu’à Marseille, en Gaule [43]. Ayant débarqué sains et saufs, les Saints Apôtres eurent à subir la faim, la soif et le mépris des habitants de l’endroit, païens forcenés qui ne leur procuraient aucun secours. Un jour que ces derniers s’étaient réunis pour un de leurs sacrifices impies, Sainte Marie-Madeleine se mêla courageusement à l’assemblée et les exhorta à reconnaître le seul Dieu, Créateur du ciel et de la terre. Émerveillés par son assurance et par l’éclat de son visage, les païens prêtèrent attention à ses paroles.

Elle réitéra son discours devant le gouverneur romain de la province, Hypatios, qui était venu en compagnie de son épouse apporter une offrande aux idoles, afin d’obtenir une progéniture. D’abord réticent, Hypatios, à la suite de trois apparitions de la Sainte, accueillit Marie et ses compagnons en son palais et demanda à être instruit de leur doctrine. Grâce à l’intercession de Marie, il obtint un enfant, mais sa femme mourut en le mettant au monde. Après un court séjour à Rome, Hypatios entreprit un pèlerinage à Jérusalem; mais changeant soudain d’avis, il décida de retourner à l’endroit où il avait enseveli son épouse et l’enfant. Quelle ne fut pas sa stupeur de les retrouver vivants et d’apprendre qu’ils avaient survécu grâce aux prières et aux soins de Sainte Marie-Madeleine ! Rendant grâces à Dieu, le magistrat et toute sa maison se firent alors baptiser et devinrent de fervents proclamateurs de la Vérité.

Quittant la Gaule, Sainte Marie-Madeleine continua ses périples missionnaires en Égypte, Phénicie, Syrie, Pamphylie et autres lieux, répandant partout la bonne odeur du Christ. Elle passa quelque temps à Jérusalem, puis partit pour Éphèse, où elle retrouva Saint Jean le Théologien, partageant ses épreuves et jouissant de ses enseignements inspirés.

Ayant rempli la mission que le Seigneur lui avait confiée, elle remit-là son âme à Dieu, après une brève maladie, et fut ensevelie à l’entrée de la grotte, où s’endormirent ensuite les Sept Enfants (cf. 4 août). De nombreux miracles se produisirent en cet endroit, jusqu’au jour où, presque dix siècles plus tard (899), le pieux empereur Léon VI le Sage ordonna de transférer les reliques de la Sainte Égale-aux-Apôtres à Constantinople (cf. 4 mai). Il les reçut avec une grande dévotion, en présence de tout le peuple, et les portant sur ses épaules, aidé de son frère Alexandre, il alla les déposer dans la partie gauche du sanctuaire du monastère de Saint Lazare, qu’il avait fondé.

Survivant aux péripéties de l’histoire, la main gauche de la Sainte Myrophore, qui exhale un suave parfum, est aujourd’hui vénérée au Monastère athonite de Simonos Pétra, qui honore Sainte Marie-Madeleine comme sa seconde fondatrice. »

Voyager dans l’antiquité

Cette odyssée jusqu’à Éphèse, ne laisse pas de nous étonner. Marie-Madeleine aurait d’abord fait un « aller-retour » à Rome pour rencontrer Tibère, puis repris la mer pour se rendre en Gaule. Après un certain temps passé à Marseille, elle se serait à nouveau embarquée pour Éphèse afin d’y retrouver saint Jean. Tel Ulysse, ce long périple l’aurait d’abord conduit en Égypte puis dans diverses régions de la Méditerranée orientale avant d’atteindre sa destination.

Ce long voyage dut prendre plusieurs années car elle visitait ces divers pays pour y propager la Bonne Nouvelle. De plus, elle semble avoir voyagé seule, ce qui compliquait sensiblement les choses. A cet égard, les Actes, qui décrivent les péripéties de saint Paul lors de ses voyages maritimes, sont très édifiants.

Voyager dans l’antiquité n’allait jamais de soi et la navigation au 1er siècle n’était pas sans risques [44]. On naviguait à l’estime, sans carte ni instruments et on était sans cesse confrontés aux caprices de la nature. La peur était omniprésente ; monter à bord n’était jamais dépourvu d’appréhension [45]. Il y avait aussi les pirates, toujours présents là où on ne les attendait pas ; le mal était endémique !

Au 1er siècle, l’empire est « pacifié » (mis à part quelques foyers de troubles comme en Judée) ; ses limites sont stables. C’est la Pax Romana. Les besoins vitaux des grandes villes comme Antioche, Alexandrie, Éphèse… et surtout de Rome avec son million d’habitants, sont énormes. Les besoins en vin, en huile, en blé, etc. sont satisfaits par des provinces souvent éloignées telles la Sicile, la Grèce, la Crète, l’Afrique du Nord ; l’Égypte est le « grenier de l’empire » ! La satisfaction de ces besoins vitaux ne laisse aucune place à l’improvisation et cela suppose la mise en place d’infrastructures, de moyens de transport et de surveillance importants. De fait, depuis Auguste, le réseau routier et maritime est « tentaculaire ».

Sur mer, la navigation se fait essentiellement à voile. C’est le vent qui dicte la voie à suivre [46]. Les parcours et les distances sont variables [47]. Il y a de bonnes et de mauvaises saisons pour naviguer [48] ; on ne prend jamais la mer en hiver. Pour se repérer, la navigation à vue n’est pas sans inconvé-nients [49] et les marins ont souvent du mal à rester maîtres de leur embarcation ! Les conditions d’accueil aux escales pour passer l’hiver ou se nourrir sont aléatoires. L’équipement est sommaire [50] mais le prix d’une traversée est modique [51].

Les bateaux de commerce transportent toujours marchandises et voyageurs [52] et n’ont pas qu’un rôle fonctionnel. Ce sont des lieux de vie avec leur hiérarchie, leur style et leur organisation propre ; on y rencontre toute sortes de voyageurs [53]. Les femmes sont regroupées et séparées des hommes ; certaines voyagent très souvent [54]. Sur les grands axes, les bateaux peuvent embarquer plusieurs centaines de passagers [55] ; le nombre de voyageurs varie selon le poids et l’encombrement des marchandises, ainsi que de la saison [56].

A bord, les passagers participent aux décisions graves en cas de gros temps [57] et lorsque la mer est calme, on se livre à toutes sortes d’activités [58]. En mer, le problème majeur est celui de l’eau potable ; de mauvaise qualité, elle rend malade. Elle est fournie par l’équipage et comprise dans le prix du voyage, mais elle est toujours en quantité insuffisante [59]; les passagers emportent leurs provisions [60]

Rome

La visite de Marie-Madeleine à Rome est toujours très vivace dans la Tradition orthodoxe. La plupart des icônes, notamment russes, représentent Marie-Madeleine avec un œuf rouge à la main [61]. Mais rencontrer Tibère n’était pas facile et cette visite de Marie-Madeleine après l’Ascension de Jésus pose un problème car l’Empereur avait quitté Rome pour s’installer à Capri dès l’année 27. Sans-doute avait-il souhaité revenir à Rome vers la fin de sa vie mais il en fut toujours empêché [62] ; A quel moment (et où) Marie-Madeleine parvint-elle à rencontrer Tibère ? C’est un mystère.

Le seul « créneau » possible se situe entre l’été 30 et le printemps 37, mais plus sûrement avant octobre 31. Depuis Capri, Tibère continuait à s’occuper des affaires de l’Empire mais la situation était alors confuse. Après avoir éliminé tous les descendants de Tibère, le nouveau préfet de Rome, Séjan, est désormais le seul candidat à la succession. Il obtient le consulat avec Tibère en 31 mais les intrigues et les coups-bas sont à leur paroxysme. Il parvient à destituer Séjan avec l’aide du nouveau préfet de Rome (Macron) en le nommant pontife mais à partir d’octobre Tibère s’éloigne du pouvoir, laissant Séjan et Macron régler leurs comptes ! Tombé gravement malade, il décède à Misène en mars 37.

De plus, Marie-Madeleine n’aurait pu envisager un tel voyage sans protection et recommandations solides. Celles-ci ne pouvaient venir que de l’entourage proche de Pilate ou du procurateur lui-même. Claudia Procula [63], sa femme, aurait été, selon quelques auteurs, une fille adoptive de Tibère [64]. Peut-être, dans cette hypothèse, Marie-Madeleine aurait-elle pu bénéficier d’un passage à bord d’un navire militaire au départ de Césarée, plus sûr et plus rapide. Eusèbe de Césarée indique que Pilate avait été nommé gouverneur de Judée en 25-26 ou en 26-27 [65], c’est-à-dire très peu de temps avant que Tibère ne quitte définitivement Rome, et il est probable que Pilate quitta sa charge fin 36 ou début 37, c’est-à-dire peu de temps avant ou après la mort de Tibère [66].

A propos de la mort de Pilate rapportée par Syméon Métaphraste (cf. note 39 Xe s), il n’est pas inutile de préciser que l’Évangile de Nicodème [67] n’était pas connu de l’Église grecque. Quant aux Actes de Pilate [68], le premier auteur chrétien à y faire allusion a été Justin de Naplouse vers 150. Tertullien de Carthage (150-220) puis, surtout, Eusèbe de Césarée (265-339) mentionnent des Actes de Pilate et de notre Sauveur [69] dans lesquels c’est parfois Véronique l’hémorroïsse qui tient la place de Marie-Madeleine. Pour l’Église grecque, il fallut donc attendre Syméon Métaphraste au Xe s. pour qu’une allusion à ces Actes figure dans le Synaxaire de Constantinople… et avec des réserves : « On raconte que la Sainte quitta Jérusalem pour se rendre à Rome… »

A noter aussi que l’Église Ethiopienne orthodoxe vénère Pilate comme saint et martyr (à Rome) considérant qu’il aurait été converti en secret par sa femme ; quant à cette dernière, elle est honorée par l’Église grecque orthodoxe sous le nom de Claudia Procula.

Ce voyage dans la capitale de l’Empire devançait de plusieurs années ceux de Pierre et de Paul. De même qu’elle avait été la première au Calvaire le matin de Pâques, elle aurait donc été la première à fouler le sol d’Occident ! Il est surprenant que les Pères n’en aient jamais entendu parler ou ne l’aient jamais rapporté, ne serait-ce que par une allusion, dans leurs écrits. Seul le Synaxaire de Constantinople – et quelques Apocryphes tardifs – avec les réserves déjà évoquées, mentionne ce voyage de Marie-Madeleine à Rome.

Jérusalem

Marie-Madeleine ne s’attarda pas à Rome car, précise le Synaxaire, elle se trouvait à Jérusalem quatre ans après la Passion (donc vers 34-35). A son retour, beaucoup de choses avaient changé. Etienne avait été lapidé [70], Jacques, le « Frère du Seigneur », dirigeait la communauté de Jérusalem et Pierre s’était éloigné. Au détour de l’an 34, il évangélisait Joppé [71] et il y était encore lorsque l’ange du Seigneur le fit appeler chez le centurion Corneille [72]. L’évènement fit alors quelque bruit chez les Judéo-chrétiens de Jérusalem, à tel point que Pierre dû venir s’en expliquer sérieusement [73]. Quasi simultanément, Philippe décédait [74] et sa tétrarchie sur l’Iturée et la Trachonitide fut rattachée à la province de Syrie [75].

Un autre évènement s’était également produit, qui allait bouleverser la trajectoire de l’Église naissante. Saul était devenu Paul ! Déjà, au martyre d’Etienne, Saul était suffisamment âgé pour recevoir du Sanhédrin la responsabilité d’aller « déloger » les disciples de Damas. Adulte depuis quelques années donc, peut-être avait-il eu l’occasion (seulement deux années plus tôt) d’apercevoir Jésus au Temple, voire même de l’entendre enseigner ? Les disciples de Damas, et sans doute ceux de Jérusalem, le connaissaient bien [76]. Sa conversion en tout cas, excita le Temple et il dû rester à Damas afin d’échapper à la fureur de ses anciens acolytes [77]. De retour à Jérusalem, vers 35, les disciples se méfiaient toujours de lui, jusqu’à ce que Barnabé consente à le prendre avec lui pour lui faire rencontrer les Apôtres [78]. Ses anciens amis juifs ne lui avaient pas pardonné sa trahison et cherchaient à le faire périr ; il finit par gagner Césarée et s’embarquer pour Tarse afin de rentrer chez lui. Il ne reviendra à Jérusalem que 14 ans plus tard.

En 36, des évènements importants allaient affecter la Palestine. Le légat de Syrie, Vitellius, en poste depuis deux ans ne s’entendait pas avec Pilate qui dépendait de lui. Profitant d’un massacre de Samaritains, il le fit convoquer par Tibère afin de le faire relever de ses fonctions et, dans la foulée, se débarrasser de Caïphe. Caligula succéda à Tibère en 37 (pour quatre années) et s’empressa d’envoyer son ami Agrippa – le frère d’Hérodiade – en Palestine en le nommant roi de Trachonitide et de Batanée ; la Pérée et la Galilée suivront en 39, après la disgrâce d’Antipas qui fut exilé en Gaule.

Jacques le frère de Jean fut l’une des premières victimes de la persécution qui commençait. Les apôtres se dispersèrent et Marie-Madeleine reprit la mer.

Le second voyage fut celui qui la conduira en Gaule. Il correspond à celui de la Tradition de Provence et nous ne nous y attarderons pas. Relevons simplement qu’elle débarqua en Gaule pendant l’empire de Claude (de 41 à 54). Les conditions du voyage étaient loin d’être aussi « idylliques » que le premier : un navire sans rame ni gouvernail, avec à bord, toute une famille de réfugiés [79] !

Périple de Marie-Madeleine en Méditerranée orientale

Que penser de l’odyssée de Marie-Madeleine décrite dans le Synaxaire ?

« Quittant la Gaule, Sainte Marie-Madeleine continua ses périples missionnaires en Égypte, Phénicie, Syrie, Pamphylie et autres lieux, répandant partout la bonne odeur du Christ. Elle passa quelques temps à Jérusalem, puis partit pour Éphèse, où elle retrouva Saint Jean le Théologien, partageant ses épreuves et jouissant de ses enseignements inspirés. »

L’Égypte

Marie-Madeleine se serait donc d’abord embarquée pour l’Égypte, c’est-à-dire, pour Alexandrie, où se trouvait l’une des plus importantes communautés juives d’Orient. Cette voie directe depuis Marseille suggère qu’elle voyageait l’été [80]. Elle serait arrivée à Alexandrie vers la fin de l’empire de Claude (41-54), voire plus tard, c’est-à-dire bien après les émeutes et les pogroms juifs de 38-40 [81], largement décrits par Philon. L’évangélisation de l’Égypte est particulièrement obscure [82]. Eusèbe rattache les origines du christianisme aux Thérapeutes[83]. Outre la lettre de Claude aux Alexandrins de 41 leur demandant d’interdire la venue « de Juifs de Syrie (Antioche) qui suscitaient des révoltes chez les Juifs du monde entier », certains historiens modernes s’intéressent à Apollos d’Alexandrie [84], débarqué à Éphèse vers 50-53, que Priscille et Aquila chassés de Rome par Claude, « prirent avec eux » [85]. Apollos, alors en partance pour l’Achaïe (Corinthe), connaissait déjà les enseignements du Seigneur ; il avait été baptisé par Jean-Baptiste. C’est précisément l’époque où Paul fonde l’Église d’Éphèse mais aucun des protagonistes ne semble avoir entendu parler de Marie-Madeleine, ni à Rome ni à Alexandrie.

La Phénicie

L’étape suivante est la Phénicie (Liban actuel). L’itinéraire de Marie-Madeleine est celui que suivaient habituellement les navires qui se rendaient à Antioche-de-Syrie. Tous les navires faisaient halte en Phénicie, notamment à Tyr, d’où l’on pouvait facilement se rendre à Jérusalem. Le Synaxaire précise d’ailleurs qu’elle alla passer quelques temps à Jérusalem avant de poursuivre son voyage [86]. Avant elle, Jésus était aussi venu en Phénicie : à Tyr et à Sidon [87]. Peut-être y avait-il dans ces villes portuaires une petite communauté pour accueillir la Sainte [88] ? Paul, qui se rendra un peu plus tard à Tyr et à Sidon [89], dira qu’il y avait dans ces villes des noyaux de chrétienté. Le passage de la Madeleine, quelques années avant lui, ne semble pas lui avoir été signalé.

La Syrie

L’escale de Marie-Madeleine en Syrie, c’est-à-dire à Antioche [90], n’aurait pas dû passer inaperçue. Antioche était alors la plus grande ville de l’Empire après Rome et Alexandrie, et la communauté chrétienne s’y développait rapidement. Pierre et Paul y fondèrent l’Église de Syrie dans les années 40 [91] mais il y avait sans doute eu quelques précurseurs « chrétiens » avant leur arrivée [92] ; il est possible que des disciples s’y soient même installés du vivant de Jésus [93].

Pierre partit pour Antioche après le « Concile » de Jérusalem pour une durée de sept ans, et cohabita un temps avec Paul [94]. Peut-être « le Prince des Apôtres » envoya-t-il alors Marc, depuis Antioche, évangéliser Alexandrie. Ainsi, la capitale de l’Orient devint le Siège de Pierre et la capitale du christianisme en attendant que Rome fut éclairée des lumières de l’Évangile ».[95] La plupart des Apôtres vinrent aussi à Antioche [96]. Bien plus tard, après avoir pris congé de ses frères à Corinthe, puis s’être rendu (via Césarée) à Jérusalem [97] pour « saluer l’Église »,Paul retrouva une nouvelle fois sa base orientale.

Lorsque Marie-Madeleine débarqua à Antioche, elle ne pouvait pas ignorer la présence des Apôtres ou, à tout le moins, des communautés qu’ils y avaient créées. Pierre était probablement parti s’installer à Rome mais Paul pouvait encore s’y trouver. Comment la jeune Église d’Antioche, en pleine efferves-cence, n’aurait-elle pas remarqué le passage de Marie-Madeleine ?

La Pamphylie

Enfin, toujours en direction d’Éphèse, entre la Cilicie (Tarse) et la Lycie, Marie-Madeleine aurait fait escale en Pamphylie. Plusieurs ports recevaient les navires de cabotage qui circulaient entre Antioche et Éphèse, tels Attalie, Pergé ou Sidé visités aujourd’hui par des hordes de touristes. On sait que Paul s’arrêta deux fois à Pergé. Une première fois après sa visite à Chypre [98] et ses démêlés avec le magicien Elymas, puis une seconde fois alors qu’il retournait vers Antioche à la fin de son premier voyage missionnaire [99].

La Lycie

Le Synaxaire de Constantinople parle aussi « d’autres lieux » dans lesquels Marie-Madeleine se serait encore arrêtée avant de parvenir à Éphèse. Sans doute s’agit-il de ports situés en Lycie où les navires faisaient habituellement escale, ou s’abritaient en cas de mauvais temps. Paul avait aussi fréquenté ces ports, notamment ceux de Patara [100] et de Myre [101].

Arrivée de Marie-Madeleine à Éphèse

L’époque à laquelle la sainte Myrophore posa pour la première fois le pied à Éphèse, demeure un grand mystère. Ayant quitté Marseille – au plus tôt – vers la fin de l’empire de Claude (41-54), elle n’a pas pu y rencontrer Paul, [102] comme il est douteux qu’elle l’ait rencontré lors de ses différentes escales.

Mais peut-être y avait-il encore des disciples qu’elle aurait connus en Palestine. Lorsqu’elle débarqua à Éphèse, l’Église était déjà organisée et saint Jean y rédigeait probablement son Évangile [103] car il ne partit pour Patmos qu’assez tard.[104] Si Marie-Madeleine vécut plusieurs années à Éphèse, il ne fait aucun doute qu’elle l’y côtoya. On imagine aisément leur émotion en se remémorant leurs souvenirs du matin de Pâques et de l’Ascension ; ils ne s’étaient pas vu depuis l’époque de la Pentecôte à Jérusalem !

Quoi qu’il en soit, tous les fidèles de l’Église éphésienne connaissaient le témoignage des saintes femmes présentes au Calvaire le matin de Pâques. Et quelle que soit la valeur accordée par les éphésiens aux témoignages féminins, il est étonnant que l’on ne découvre sa tombe qu’après le réveil des Sept Dormants !

Il est vrai, aussi, que la venue de la Vierge à Éphèse demeure toujours controversée.[105] Personne ne peut dire avec certitude que la Mère de Dieu avait suivi saint Jean jusqu’en en Asie, qu’elle n’y avait fait qu’un bref séjour, ou que l’Apôtre ne s’y soit rendu qu’après son décès à Jérusalem. Le témoignage des Pères qui évoquent ce sujet est très fragile et les mystiques se contredisent ; il existe en Orient plusieurs traditions concernant la Vierge Marie. Il semble en être à peu près de même avec Marie-Madeleine.

Le tombeau de Marie-Madeleine

Grégoire-de-Tours (538-594) rapportait, nous l’avons vu, les propos d’un mystérieux voyageur syrien qui l’avait aidé à transcrire les Actes des Sept Frères Dormants [106] mais se montrait prudents : ut creditur… Joseph Escudier remarque que l’authenticité-même du texte est sujette à caution [107] car il ne figure pas dans le Codex de Clermont, considéré par beaucoup de paléographes comme étant le plus sûr. Il faut ici souligner que le Synaxaire de Constantinople, tout aussi prudent, reprenait la même formule évasive.

Nous ne savons pas qui était ce voyageur syrien. Quelques auteurs ont évoqué Éphrem le Syrien [108] (306-373) mais cela reste incertain. Grégoire-de-Tours indique aussi qu’il n’y avait pas de couverture au-dessus de la Sainte Myrophore d’Éphèse. Un tombeau à ciel ouvert en quelque sorte. Ce pouvait être une tombe située dans l’atrium d’un sanctuaire ou dans un oratoire à ciel ouvert (coutume éphésienne dit-on).

La Tradition orientale reprend largement ces indications en situant le tombeau de Marie-Madeleine à l’entrée de la Grotte des Sept Dormants. Mais il est surprenant que l’évêque Crodebert (653-674), successeur de Grégoire-de-Tours, ne fasse aucune allusion à l’information de son prédécesseur (qu’il ne pouvait ignorer). Il aurait pu parler du tombeau d’Éphèse lorsqu’il reprenait, à la suite du pape Grégoire-le-Grand, l’identification des trois femmes de l’Évangile en une seule, mais il ne l’a jamais fait.

En tout état de cause, s’agissait-il bien de la Marie-Madeleine témoin de la Résurrection ? Rien n’est moins sûr :

Photius[109] (env. 810-891) évêque de Constantinople, citant un passage de saint Modeste [110] (537-634) Patriarche de Jérusalem, rapporte que dans une homélie dite « des Myrophores » [111] :

« Le nombre sept est pris dans l’Écriture, pour toutes les vertus, comme pour tous les vices. Jésus-Christ choisit donc, avec raison, Madeleine de laquelle il avait chassé sept démons, afin de faire connaître, par elle, qu’il venait délivrer l’humanité entière de l’esclavage de l’auteur du mal. Car, dit-il, des histoires racontent que Madeleine, de laquelle le Sauveur chassa sept démons, fut toute sa vie vierge, et que dans le récit de son martyre il est dit, qu’à cause de sa parfaite virginité et son excellente pureté, elle parut à ses bourreaux comme un limpide cristal. Après la mort de notre Sainte Dame la mère de Dieu, elle alla à Éphèse auprès du disciple Bien-aimé (saint Jean) ; et là, Marie, la porteuse de parfums, acheva par le martyre sa course apostolique ; n’ayant pas voulu, jusqu’à son dernier soupir, être séparée de Jean, évangéliste et vierge. Car, dit-il, de même que le chef des apôtres fut appelé Pierre, à cause de l’inaltérable foi qu’il eut dans le Christ qui est la pierre fondamentale, ainsi Madeleine devenue chef des disciples, à cause de sa pureté et de l’amour qu’elle eut pour le Sauveur, fut nommée Marie, comme sa divine Mère. »

Sicard, reprenant Faillon [112], ne manque pas de commenter ce passage en indiquant qu’il ne peut s’agir de la Marie-Madeleine des Évangiles : tout d’abord qu’elle ne pouvait pas être considérée comme vierge vu qu’elle avait été pécheresse publique et assujettie à sept démons, et que d’autre part, aucun auteur religieux de l’Église grecque ou latine ne l’avait jamais reconnue comme martyre. Concernant son nom, c’était exactement l’inverse : son nom était Marie et elle ne fut surnommée Madeleine (de Magdala) que par la suite afin de la distinguer d’autres Marie.

Quoi qu’il en soit, Modeste à l’instar de Grégoire-de-Tours et du Synaxaire de Constantinople, reste prudent quant à l’origine des sources : « des histoires racontent… ». On ne pourrait être moins persuasif sur l’authenticité de l’histoire qu’il raconte !

En Occident, Willibrord d’Utrecht [113] (ou Willibald) (657-739) abbé d’Echternach (Luxembourg) dit avoir été à Éphèse visiter le tombeau de saint Jean Apôtre et celui de Marie-Madeleine [114]. Au 11e siècle, Echternach portait d’ailleurs le nom de « Epternacence monasterium », c’est-à-dire « Monastère des 7 Renaissants » (Sept Dormants). D’abord invoqué par Launoy, Mgr Duchesne précise que ce passage ne mentionne le tombeau de Marie-Madeleine que dans une seconde rédaction. Escudier et Faillon[115] confirment cette remarque et ajoutent que d’après les Bollandistes, il y eut au moins deux versions de ce texte. La première rédaction, dictée par Willibald à une religieuse sa parente en présence de deux diacres [116], n’était pas aussi précise :

« Faisant route vers l’Asie, l’on arriva dans la cité d’Éphèse. Là, on alla visiter l’endroit où reposent les Sept Dormants, et de là, on se dirigea vers saint Jean l’Évangéliste, placé en un lieu superbe. Puis l’on partit et reprit la mer « 

La version invoquée serait donc anonyme.

Polycrate d’Éphèse [117] (130-199 env.) pose un problème de conscience aux tenants de la tradition. Né à Éphèse quelques décennies après la mort de saint Jean, il ne fait aucun doute que son grand-père (peut-être même son père) avait connu l’évangéliste. Il aurait tout aussi bien pu connaître Marie-Madeleine si celle-ci avait vécu en sa compagnie. Tous ses prédécesseurs comme évêques d’Éphèse étaient, comme il le disait lui-même dans ses lettres, ses « parents e cognatione mea«  [118]. Comment ceux-ci, et lui-même, n’auraient-ils pas entendu parler du tombeau de celle qui aurait été « le plus beau titre de recommandation de son église » [119] ?

Or Polycrate ne l’évoque jamais dans ses écrits, ni même au moment des fêtes de Pâques que les Églises d’Orient continuaient à célébrer le 14e jour de la Lune, selon l’usage institué par saint Jean [120]. On énumérait à cette occasion les Apôtres et les personnages contemporains morts en Asie, tout particulièrement à Éphèse. Dans sa lettre au pape Victor (189-199) [121] il parle de saint Philippe diacre mort à Hiérapolis [122] et de ses quatre filles dont l’une repose à Éphèse [123]. « Sur cette même terre d’Éphèse, poursuit-il, est mort Jean, le disciple qui reposa sur la poitrine de Jésus… Encore à Éphèse, nous avons le corps du martyr Thraséas qui fut évêque d’Euménia. Smyrne a eu pour évêque le martyr Polycarpe, etc… » Il ne souffle mot de Marie-Madeleine, ni même de la Vierge, dans sa propre ville épiscopale !

Le tombeau des Sept Dormants d’Éphèse

Témoin du Coup de Lance au Calvaire, Marie-Madeleine est surtout premier témoin et Apôtre de la Résurrection – l’Apôtre des Apôtres. En Orient, elle est aussi reconnue pour être la première des ermites, esseulée dans l’Amour. C’est du reste son « évangile » (de Nicodème) qui a été choisi pour fixer la fête de la Dormition (15 août, ou 28 août selon le calendrier orthodoxe). Son corps, déposé à l’entrée d’une caverne qui domine Éphèse, l’associe à la résurrection des Sept Dormants d’Éphèse vénérés aussi dans l’Islam, tant chiite que Sunnite. La Sourate 18 du Coran, dite de la Caverne (Al-Kahf, aussi appelée « Apocalypse de l’Islam » [124] ) proclamée durant la période mecquoise de Mahomet, est récitée dans toutes les mosquées à la grande prière du vendredi (équivalent de notre messe dominicale).

Les premières traces de cette légende ont été retrouvées dans des manuscrits syriaques anciens des 5e et 6e s. puis repris au 10e s par Syméon Métaphraste [125]. Les éléments majeurs figurent aussi dans les écrits de Grégoire-de-Tours [126] au VIs, peut-être inspiré d’auteurs syriens tel St Éphrem de Nisibe qui vivait à Édesse (Urfa, en Turquie actuelle), dans ceux de Paul Diacre [127] et, bien sûr, dans la Légende Dorée de Jacques de Voragine.

La légende, qui comporte de très nombreuses versions, peut se résumer ainsi :

Un décret de Dèce (249-251) fut un jour publié à Éphèse, obligeant les citoyens à se rendre au temple de Diane afin de s’unir aux sacrifices offerts aux dieux. Sept jeunes gens réfractaires prirent quelques pièces d’or et allèrent se cacher dans une grotte du Mont Célion (ou Mt Pion) qui dominait la ville où, pris soudain d’une grande torpeur, ils s’endormirent. Le sommeil qui les prit dura plus de trois cents ans. Le temps passa. Le pouvoir tomba entre les mains de l’empereur Théodose le Jeune (408-450). Très religieux, il combattait une hérésie qui niait la résurrection des morts et l’existence des anges lorsqu’un beau-matin (vers 448), les jeunes gens s’éveillèrent, persuadés qu’ils n’avaient dormis qu’une seule nuit. L’un d’eux descendit alors en ville pour acheter des provisions et s’aperçut stupéfait qu’une grande croix avait été plantée face à la porte. Mais une croix sur les murailles d’Éphèse était invraisemblable. Poursuivant néanmoins sa route, il vit encore une église ornée de croix et de statues des apôtres. Il croyait rêver ! S’étant ensuite fait servir du pain chez un boulanger, il tendit une pièce à l’effigie de l’empereur Dèce. Le commerçant, pensant d’abord à une tentative de fraude la refusa ; l’altercation qui s’ensuivit alerta rapidement la population. Voulant alors en appeler à l’empereur Dèce pour ce refus d’accepter des pièces à son effigie, beaucoup le prirent pour un fou ; d’autres pensèrent que le jeune homme avait trouvé un trésor et voulurent s’en assurer en montant jusqu’à la grotte. Le bruit que fit l’affaire finit par parvenir aux oreilles de l’empereur (ou de l’évêque, selon certaines versions) qui se précipita alors à Éphèse, escorté d’illustres théologiens, pour interroger par lui-même les jeunes gens. Devant la réalité des faits et découvrant leurs visages radieux, le Maitre de l’Orient les embrassa en pleurant. Les Sept Dormants se rendormirent alors pour l’éternité.

Alors que dans la chrétienté les jeunes martyrs sont rattachés au mystère éphésien de la Vierge, du Disciple bien-aimé et de la Pécheresse repentante (et par là, à l’essence du christianisme), de même en Islam, la retraite mystérieuse des sept « emmurés vivants », est le type même de l’abandon à Dieu, l’essence de l’Islam. Indépendamment du désir eschatologique, cet abandon est animé d’une grande attente qui sera exaucée à la Résurrection. Seuls témoins anticipés de l’Islam, on peut dire que leur tombe est l’équivalent du Saint-Sépulcre pour le Christianisme [128].

Ainsi, tant en Orient qu’en Occident, et quelles qu’aient pu être les hypothèses subdivisant la Myro-phore en pénitente, en Marie de Béthanie ou de Magdala, au seuil de la Caverne des Sept Dormants d’Éphèse, les pèlerins du IVe s n’ont vénéré qu’une seule Marie-Madeleine, témoin unique de deux résurrections anticipées, celles de son frère Lazare et du Christ oint par la Myrophore. Les corps de Marie-Madeleine et de Lazare, réunis à Constantinople par Léon VI le Sage vers 890, le rappelle formellement.

Saint Lazare dans l’Écriture et la Tradition

Il n’est pas possible d’évoquer la Tradition orientale de Marie-Madeleine sans évoquer celle de son frère Lazare enterré à Larnaka. L’île de Chypre a été victime d’une invasion turque en 1974 qui a eu pour principale conséquence l’occupation de 38% du territoire chypriote. L’autre conséquence fut la mise en place d’une politique d’épuration ethnique avec le déplacement de la population grecque, très majoritairement chrétienne, vers le sud de l’île et la destruction systématique des lieux de culte chrétiens dans toute la zone occupée par les turcs. L’église et le tombeau de Lazare « le-mort-de-quatre-jours-et-ami-du-Christ » située à Larnaka, en zone grecque, est toujours visitée par de nom-breux touristes et pèlerins ; plusieurs reliques de saint Lazare ont été conservées sur place :

Béthanie

Peu de saints peuvent s’enorgueillir de posséder deux sépultures ; Lazare en aurait eu trois ! L’Évangile nous apprend qu’il avait deux sœurs, Marie et Marthe, et qu’il avait été mis au tombeau une première fois à Béthanie [129], avant d’avoir été ramené à la vie par Jésus. Mais en raison de l’extrême pauvreté des documents et des témoignages, l’histoire cède le pas à l’archéologie. Au début du IVe s, les rares fidèles qui s’aventuraient dans la région, se faisaient « montrer » le tombeau dans son état naturel. Malgré les guerres, les destructions et les entraves de toutes sortes, la tradition traversera les siècles. Six sanctuaires ont été construits à Béthanie. Le tombeau de Lazare n’est donc pas un tombeau ordinaire ! Certains veulent encore associer le site au souvenir de Marie-Madeleine en s’appuyant sur une tradition tardive qui place à l’est de Béthanie une église en son honneur. Les Grecs (et plus tard les Russes) se contentent de commémorer en cet endroit la rencontre de Jésus et de ses deux sœurs [130]. Le second tombeau de Lazare conserve encore un grande part de mystère. Tout comme celui de Marie-Madeleine, l’Orient (Larnaka) et l’Occident (Marseille) se disputent toujours sa possession.

« Vie » de saint Lazare « le-mort-de-quatre-jours-et-ami-du-Christ »

Source : Lazaro Georgiou (Orthodoxia)

« Béthanie, “Maison des Palmes” en hébreu, fut connue historiquement comme la ville où habitait Lazare, l’ami du Christ. C’était un des endroits que Jésus aimait et visitait souvent. La raison en était le lien d’amour et d’amitié que le Christ avait avec la famille de Lazare, et avec le lépreux, qui, d’après de nombreux témoignages, était le propre père du saint.

L’histoire de la visite du Seigneur à la maison de Marthe et Marie, les sœurs de Lazare, est bien connue. Le passage de l’évangile relate que Marthe “servait le Seigneur”, tandis que Marie était assise “aux Pieds de Jésus et écoutait sa Parole” (Lc 10,38-42). Cependant, l’événement qui apporta la gloire à Béthanie fut la résurrection de Lazare (Jn 11,1-44), par laquelle le Christ préfigura sa propre Résurrection des morts. Pour cette raison, l’hymnologie du Samedi de Lazare [131] met l’accent en premier lieu sur le mystère de la résurrection générale et ensuite sur la commémoration du saint. Comme on pouvait s’y attendre, le miracle de la résurrection de Lazare enflamma les Juifs et “les archiprêtres conspirèrent pour tuer Lazare” (Jn 12,11), puisqu’il était la preuve vivante du miracle.

Donc, le saint, poursuivi par les Juifs, s’enfuit à l’île de Chypre, où il rencontra plus tard les apôtres Paul et Barnabé, qui le sacrèrent premier évêque de Kition. La Tradition nous apprend qu’il avait un tempérament sérieux et que l’on ne l’avait pas vu sourire le reste de sa vie; c’était à cause de ce qu’il avait vu pendant les quatre jours de sa descente en enfer. Selon la même Tradition, il ne sourit qu’une seule fois après sa résurrection, et c’était lorsqu’il vit quelqu’un voler un vase en argile, et qu’il en fit la remarque judicieuse : “de l’argile volé par l’argile”.

Une autre légende lie le saint aux marais salants de Larnaka. Au temps du saint, il y avait une vigne immense à l’endroit où se trouvent actuellement des marais salants. Une vieille femme était la propriétaire de cette vigne. Quand le saint passait par là lors de son arrivée à la cité, il demanda à la dame quelques grains de raisin pour étancher sa soif. La vieille dame refusa et un Lazare affligé maudît la vigne, qui se transforma aussitôt en un marais salant.

Selon une autre légende, elle tenait un grand panier plein de raisins qu’elle venait de vendanger. Elle répondit à la requête du saint que le panier contenait du sel, donc le saint la punît en conséquence [132].

Une autre légende, se trouvant dans le Synaxaire de Constantinople, dit qu’à cet endroit il y avait un lac d’eau douce, disputé par deux frères en grande querelle à son sujet. Pour résoudre leur problème, le saint, par sa prière, transforma le lac en marais salant.

Dans les annales de la sainte Montagne, on peut découvrir un rapport direct entre Chypre, saint Lazare, le Mont Athos et l’Enfantrice de Dieu. La Mère du Seigneur, accompagnée de saint Jean le Théologien, en route vers le Mont Athos, rencontra saint Lazare en passant par Kition, et lui donna un omophore [133] et des manchettes.

Selon saint Épiphane [134], évêque de Constantia à Chypre (367-403), le juste Lazare vécut encore trente ans après sa résurrection. “Nous savons d’après la Tradition que Lazare avait trente ans lorsqu’il fut ressuscité, et que, après avoir vécu trente années de plus, il s’endormit dans le Seigneur.”

Une source ecclésiastique venant d’Antioche mentionne la mort du saint comme martyr. Le saint fut enseveli dans un sarcophage en marbre portant l’inscription : “Lazare le mort-de-quatre-jours et ami du Christ”. La tombe fut déplacée plus tard dans une petite église.

Le transfert des reliques sacrées de saint Lazare de Kition à Constantinople, célébré le 17 octobre, eut lieu en 890 sur l’ordre de l’empereur Léon VI, connu comme “le Sage”. En échange du transfert des reliques à Constantinople, Léon VI envoya de l’argent et des artisans à Chypre, pour la construction de la grande église dédiée au saint, église qui existe encore de nos jours à Larnaka.

En plus, Léon VI fit construire à Constantinople un monastère dédié au juste Lazare, où il plaça ses reliques. Plus tard, les reliques de sainte Marie-Madeleine furent transférées d’Éphèse dans ce même monastère. Pendant l’ère byzantine, il était de coutume que l’empereur lui-même y assiste aux offices monastiques le samedi de la Résurrection de Lazare. »

Sur les saintes reliques

 » Les reliques sacrées du saint avaient dû être transférées à Constantinople dans le sarcophage d’origine. C’est confirmé par le fait que le sarcophage de marbre qui se trouve aujourd’hui sous l’autel de l’église Saint-Lazare de Larnaka porte l’inscription “PHILIOU” (c’est-à-dire “DE L’AMI”), tandis que l’ancien portait “Lazare le mort-de-quatre-jours et ami du Christ”.

Le 23 novembre 1972, une châsse en bois fut trouvée dans le sarcophage existant, contenant des parties des reliques sacrées du juste Lazare. Cela montre que les fidèles de Kition n’avaient pas donné toutes les reliques à l’empereur, mais seulement les plus grandes parties. A un moment ultérieur, les fidèles cachèrent le sarcophage sous le saint autel, où il resta jusqu’à son invention en 1972.

Les croisés volèrent les reliques de saint Lazare transférées à Byzance, pendant le sac de Constantinople en 1204, avec beaucoup d’autres saintes reliques. On a cherché ces reliques-là en vain et elles n’ont pas été retrouvées jusqu’à ce jour.

L’église Saint-Lazare de Larnaka fut construite par l’empereur Léon VI aux environs de 890. Elle fut bâtie sur la tombe de saint Lazare en remplacement d’une église plus petite. Elle est de style byzantin, avec trois nefs et trois coupoles, mais ces dernières furent détruites pendant l’occupation ottomane. Selon la légende, les coupoles furent détruites par un potentat turc, qui, voyant l’église de loin, pensa que c’était une mosquée et se mit en prière devant elle. Après s’être approché et s’être rendu compte que c’était une église chrétienne, il se mit en colère et ordonna sa démolition.

L’extérieur de l’église montre beaucoup d’influences occidentales. Un trait majeur de cette influence est son clocher énorme. Pendant l’occupation franque, l’église fut transformée en un monastère de moines bénédictins et pendant l’occupation turque en une mosquée. »

Fondation du monastère Saint-Lazare à Constantinople par Léon VI le Sage

Source : thèse de Benoit Meggenis, Université de Lyon 2, 2010

 » L’église et le monastère furent édifiés près du Tzikanistèrion [135], à l’occasion du transfert des reliques de saint Lazare et de sa sœur, Marie-Madeleine, reliques qui provenaient de Chypre et d’Éphèse[136]Les chroniqueurs précisent que ce monastère était réservé aux eunuques [137] ; nous pouvons penser que l’empereur avait ainsi prévu un lieu de retraite pour les eunuques qui avaient servi dans l’administration impériale et qui furent précisément assez nombreux pendant son propre règne. Le monastère existait déjà avant 901, car Léon VI voulut y faire inhumer sa troisième épouse, Eudoxie Baïanos, mais rencontra l’opposition de l’higoumène qui invoqua pour excuse la proximité de la fête de Pâques. L’église du monastère accueillit par la suite les reliques de Lazare-de-Galèsion, moine du XIe siècle qui avait fondé plusieurs monastères sur le mont Galèsion, près d’Éphèse. »

Une autre source [138] indique que le monastère conservait, outre les reliques de Marie-Madeleine et de Lazare, celles de leur sœur Marthe.

Mais était-ce bien le Lazare ressuscité par Jésus à Béthanie ? Seules les Menées (livres liturgiques byzantins) rédigées bien plus tard (XIe ou XIIe s) – et l’on sait le peu d’autorité dont elles jouissent [139] – y désignent le corps transféré à Constantinople comme étant celui de l’ami de Jésus. Voici le passage :

 » Le 17e jour du mois d’octobre, eu lieu la translation des précieuses reliques du saint et juste Lazare. L’heureux, le très célèbre, le plus fidèle des rois Léon (VI) touché d’un mouvement divin et comme frappé d’une inspiration d’en haut, bâtit d’abord un temple à ce juste. Ayant fait ensuite une expédition en Chypre, il trouva son saint corps enseveli sous terre depuis mille ans et renfermé dans une châsse de marbre où était gravé en caractères d’une langue inconnue : Lazare après quatre jours ressuscité et ami de Jésus-Christ. Un trésor de si grand prix fut aussitôt retiré, placé dans des reliquaires d’argent et transporté à Constantinople » [140].

Les « Vies de Lazare » connues ont toutes été écrites après la translation du corps à Constantinople, et Chypre n’a conservé aucune trace d’une quelconque fête de Lazare « ami-de-Jésus » ou « mort-de-quatre-jours » avant ce transfert. Si Épiphane [141] (315-403), alors évêque de Salamine et métropolitain de Chypre, affirme que Lazare aurait encore vécu trente années [142], c’est seulement pour montrer aux Manichéens qu’il n’était pas décédé aussitôt après sa résurrection. Il n’indique pas qu’il fut décédé à Chypre ; pas plus qu’il ne mentionne le nom de Lazare dans la liste de ses prédécesseurs, établie depuis Barnabé en 45. Willibald, déjà cité, qui s’était aussi rendu à Chypre, ne parle pas non plus de Lazare [143] ; par ailleurs, certains moines grecs chypriotes du XVIIe s ne croient pas au tombeau de Larnaka et confirmeraient même la venue de toute la famille de Béthanie en Provence [144]

Ce monastère, saccagé par les croisés vénitiens en 1204, puis détruit, pose question. Les croisés rapportèrent beaucoup de reliques en Occident. Certaines ont été identifiées, d’autres demeurent énigmatiques. L’origine de reliques attribuées à Marie-Madeleine (ou à Lazare) fait toujours débat ; la controverse entre Provence et Bourgogne, par exemple, fait encore couler beaucoup d’encre. Se pourrait-il que des reliques dérobées à Constantinople au début du XIIIes aient pu réapparaître en Provence un demi-siècle plus tard ? Exégètes et historiens en doutent mais les partis-pris dominent souvent les points de vue ; l’argumentation bute sur l’indigence des sources historiques ; la tradition demeure fragile.

Marie l’Égyptienne

Marie l’Égyptienne semble avoir vécu vers le IVe s et son histoire s’est d’abord transmise parmi les moines de Palestine ; elle est fêtée chez les orthodoxes comme chez les catholiques. Très célèbre en Orient, il existe de nombreuses versions de sa légende, un peu à la mode des épopées du Moyen Age [145] mais c’est Sophrone (550-638) patriarche de Jérusalem, qui fixa définitivement son histoire. Voici le résumé proposé par Jacques de Voragine dans sa Légende Dorée [146] :

 » Sainte Marie l’Égyptienne, qu’on appelle aussi la Pécheresse, mena pendant quarante-sept ans, au désert, une vie de repentir et de privations. Certain abbé, nommé Zozime, qui avait franchi le Jourdain et parcourait le désert dans l’espoir d’y rencontrer quelque saint ermite, aperçut un jour devant lui une créature bizarre, toute nue, avec un corps tout noir et brulé du soleil. Cette créature aussitôt s’enfuit, et Zozime se mit à courir à sa poursuite, de toute force de ses jambes. Alors elle lui dit : « abbé Zozime, pourquoi me poursuis-tu ? Pardonne-moi de ne pouvoir me retourner vers toi ; mais c’est que je suis une femme et que je suis nue ! Lance-moi ton manteau, afin que m’en étant couverte, je puisse te regarder sans honte ! »

L’abbé stupéfait de s’entendre appeler par son nom lui jeta son manteau, et, se prosternant devant elle la pria de le bénir. Mais elle :  » C’est à toi plutôt de me bénir, mon père, toi, qui a revêtu la dignité du sacerdoce !  » Et Zozime, voyant qu’elle connaissait nom seulement son nom, mais aussi sa qualité de prêtre, s’étonnait davantage encore, et mettait encore plus d’insistance à lui demander sa bénédiction. Alors elle dit :  » Que béni soit Dieu, rédempteur de nos âmes !  » Et pendant qu’elle priait, avec les mains étendues, elle vit qu’elle était soulevée de terre à la hauteur d’une coudée. Sur quoi un doute surgit dans l’âme du vieil abbé, qui se demanda si ce n’était pas un esprit, faisant semblant de prier pour le décevoir. Mais elle :  » Que Dieu te rassure, abbé, et t’empêche de prendre une pauvre pécheresse pour un mauvais esprit !  » Zozime la somma alors, au nom du Seigneur, d’avoir à lui dire qui elle était. Et elle :  » Père, pardonne-moi, mais si je t’avoue qui je suis, tu t’enfuiras effrayé comme à la vue d’un serpent, et tes oreilles seront souillées de mes paroles, et l’air sera empesté de mon impureté !  » Mais, comme Zozime insistait, elle finit par lui dire :

« Je m’appelle Marie, et suis née en Égypte. Venue à Alexandrie vers l’âge de douze ans, j’y ai fait pendant dix-sept ans métier de fille publique, vendant mon corps à qui en voulait. Mais, un jour, comme des habitants de la ville partaient pour adorer la Sainte Croix à Jérusalem, je priai les matelots de me laisser m’embarquer avec eux. Ils me demandèrent si j’avais l’argent du passage. Et je leur répondis que je n’avais point d’argent mais que, pour payer mon passage, je leur offrais mon corps. Et ainsi ils me prirent et ce fut mon corps qui servit à les payer.

Mais voici qu’à Jérusalem, comme je me présentais avec les autres pèlerins aux portes de l’église, je me sentais soudain repoussée par une force invisible, qui me retint et m’empêcha d’entrer. Et tous les autres entraient librement, sans que rien les en empêchât : de telle sorte que, sitôt revenue à l’auberge, je compris que c’était là une conséquence de ma vie criminelle ; et je me mis à déchirer la poitrine, à verser des larmes amères, et à soupirer du plus profond de mon cœur. Puis, apercevant sur le mur une image de la bienheureuse Vierge Marie, je me mis à la supplier de m’obtenir le pardon de mes péchés, et la permission d’entrer dans l’église pour adorer la sainte Croix, en échange de quoi je promis de renoncer au monde et de vivre désormais dans la chasteté. Cette prière me rendit confiance, et de nouveau je me présentais aux portes de l’église ; et voilà que, cette fois, je pus y entrer sans aucun empêchement.

Et, pendant que j’adorais pieusement la sainte Croix, un inconnu me remis trois pièces de monnaie, avec lesquelles j’achetai trois pains. Et j’entendis une voix qui me disait :  » Traverse le Jourdain, et tu seras sauvée !  » Je traversai donc le Jourdain et vins dans le désert, où, depuis quarante-six ans, je demeure sans avoir jamais vu figure humaine, vivant des trois pains que j’ai emporté avec moi, et qui, devenus maintenant durs comme des pierres, suffisent encore à ma nourriture. Quant à mes vêtements, depuis longtemps déjà ils sont tombés en morceaux. Et, pendant les dix-sept premières années de mon séjour au désert, j’ai été tourmentée de tentations charnelles ; mais, à présent, par la grâce de Dieu, je les ai toutes vaincues. Voilà mon histoire. Je te l’ai racontée afin que tu daignes prier Dieu pour moi ! « 

Alors le vieillard, se prosternant à terre, bénit le Seigneur dans la personne de sa servante. Et celle-ci lui dit :  » Écoute ce que je vais te demander ! C’est que, le jour de Pâques, tu passes de nouveau le Jourdain, en apportant avec toi une hostie consacrée. Je t’attendrai sur le rivage, et recevrai de ta main le corps du Seigneur, car je n’ai plus communié depuis le jour de mon arrivée ici !  » Le vieillard s’en retourna donc dans son monastère ; et, l’année suivante, aux approches de la fête de Pâques, il revint jusqu’à la rive du Jourdain, emportant avec lui une hostie consacrée. Et voici qu’il aperçut la femme debout sur l’autre rive. Et voici que, ayant fait le signe de la croix sur les eaux, elle se mit à marcher sur elles et parvint ainsi jusqu’au vieillard. Celui-ci, émerveillé de ce miracle, voulut se prosterner humblement à ses pieds. Mais elle lui dit :  » Mon père, garde toi de te prosterner devant moi, surtout maintenant que tu es porteur du corps du Christ ; mais daigne seulement revenir encore vers moi l’année prochaine !  » Puis, ayant reçu le sacrement, elle fit de nouveau un signe de croix, et de nouveau marcha sur les eaux jusqu’à l’autre rive.

L’année suivante, Zozime ne la trouva plus sur le rivage. Il passa le fleuve, se rendit à l’endroit où il l’avait vue la première fois ; et là il la vit morte, étendue sur le sable. Alors, il fondit en larmes ; et il n’osait point toucher ses restes, par crainte de lui déplaire, car elle était nue. Mais tandis qu’il songeait aux moyens de l’ensevelir, il lut une inscription tracée sur le sable :  » Zozime, ensevelis mon corps, rends mes cendres à la terre, et prie pour moi le Seigneur, sur l’ordre de qui j’ai enfin été délivrée de ce monde, le second jour d’avril !  » Ainsi le vieillard découvrit qu’elle était morte presque aussitôt après avoir reçu la sainte communion. Et comme il s’épuisait à creuser une fosse, il vit un lion, qui, doucement, s’approchait de lui. Et il lui dit :  » Cette sainte femme m’a ordonné d’ensevelir son corps ; mais, vieux comme je suis, et n’ayant point de bêche, je ne parviens pas à creuser la fosse. Toi donc, mon ami, creuse une fosse, afin que nous puissions ensevelir le corps vénéré de Marie l’Égyptienne !  » Et aussitôt le lion se mit à creuser une grande fosse, après quoi il s’en alla, doux comme un agneau ; et le vieillard s’en retourna vers son monastère en glorifiant Dieu. »

Des versions plus développées décrivent la vie de l’anachorète [147] Zozime, lequel vivait depuis son enfance dans un monastère proche du Jourdain. Tourmenté depuis longtemps par l’idée de perfec-tion, il avait décidé de passer la « Sainte Rivière » afin de vivre un temps au désert pour s’adonner entièrement à la méditation et aux exercices ascétiques.

Certaines ressemblances de Marie l’Égyptienne avec Marie-Madeleine sont parfois troublantes : les deux femmes portent le même nom ; elles sont toutes deux des pécheresses repenties ; elles se sont toutes les deux retirées au désert (une grotte située à la Sainte-Baume ou à Éphèse pour Marie-Madeleine) ; Toutes deux vivent pendant plusieurs années sans nourriture (trente pour la Madeleine à la Sainte-Baume, quarante-six dans le désert pour l’Égyptienne) ; toutes deux reçoivent la commu-nion des mains d’un ermite [148] quelques temps avant de mourir. Leur représentation iconographique est souvent semblable (nudité, long cheveux en guise de vêtement) ; les deux femmes, dans chacune des traditions, portent parfois un pot d’aromates (myrophore, alors que la légende de l’Égyptienne n’évoque jamais ce type d’action) ou sont représentées avec un crâne [149] ; plus rarement, avec des bijoux répandus sur le sol, rappelant leur vie dissolue.

L’influence de l’Égyptienne sur les récits plus tardifs déroulant la vie érémitique de Marie-Madeleine semble évidente. Les interpolations introduites dans nos textes peuvent trouver leur source dans les expériences du grand monachisme oriental, vécues par certains moines occidentaux tel Jean Cassien (360-435). Plus tard, les moines du Mont Cassin [150] transmirent l’histoire à Rome avec Anastase-le-Bibliothécaire (815-880).

La vie au désert

Car l’Orient, c’est aussi le désert. La rencontre de l’anachorète Zozime avec l’Égyptienne, qui préfigure la vie érémitique de Marie-Madeleine, rend compte d’une autre tradition orientale ancrée dans les déserts d’Égypte et de Palestine. La spiritualité du désert est très ancienne. Sans remonter au culte de Sérapis, Abraham, Moïse, Elie, puis plus tard Jean-Baptiste et le Christ lui-même durant sa quarantaine, se sont confrontés au désert. Les premiers ermites (juifs puis plus tard chrétiens) voulaient se rapprocher de Dieu par la recherche d’un idéal de vie solitaire entièrement tourné vers la contemplation et la méditation [151]. Dès avant les temps apostoliques, certains ermites cherchèrent à s’organiser en communautés à l’instar des esséniens de Qumran et d’Alexandrie [152].

En Turquie, ces mouvements étaient également très répandus. Plusieurs saints fondateurs du monachisme palestinien étaient originaires de Cappadoce (saint Sabas) ; d’autres, comme Basile (de Cappadoce), revinrent l’installer dans leur patrie d’origine après l’avoir observé en Palestine. Les nombreuses grottes et habitations troglodytiques découvertes en Cappadoce et dans d’autres régions de Turquie [153], témoignent encore de la présence de ces moines. En Gaule, Jean Cassien, né en Scythie (Roumanie), constitue une communauté à Marseille et, de retour d’Orient, Honorat organise la sienne à Lérins. Mais peut-être n’étaient-ils pas les premiers.

Les grottes sacrées

Suivant leurs aînés juifs, les premiers chrétiens cherchaient Dieu au désert. Mais ils aimaient aussi à pratiquer leur culte dans des grottes. Beaucoup d’écrits judéo-chrétiens [154] signalent des grottes « éclairées » dans lesquelles était surtout commémoré le mystère qui s’y rattachait [155] telles la Nativité ou l’Annonciation. Beaucoup d’autres, dites « vénérées », conservaient le souvenir du Seigneur, de la Vierge et des saints. Ainsi, une grotte perpétue le jeûne de Jésus au Mont de la Quarantaine ; une autre son enseignement au Mont des Oliviers [156]. Une grotte à Eïn Karem aurait servi de refuge à Jean-Baptiste pendant la persécution d’Hérode. De Gethsémani à Lourdes, on ne compte plus les apparitions de la Vierge dans une grotte. Origène confirme certaines pratiques religieuses dans des grottes [157] ; Cyrille s’efforçait dans ses sermons de s’y opposer [158].

Marie-Madeleine – et les communautés juives qu’elle rencontrait lors de ses voyages – connaissait ces pratiques ancestrales. Dans un tel contexte, qu’elle se soit réfugiée dans une grotte, à l’instar de Jean dans sa caverne de Patmos, pour s’adonner à certaines de ces pratiques, n’est pas autrement surprenant. Que la tradition s’en soit accaparée, ne l’est pas davantage.

Conclusion

Marie-Madeleine est une femme à plusieurs visages. Beaucoup d’auteurs théorisent et s’interrogent encore sur sa personnalité. Pluralité de personnages pour les pères grecs, unicité pour les pères latins, entend-on le plus souvent ; la réalité était sans doute plus complexe, à telle enseigne qu’à la fin du Xe s. le basileus Léon VI faisait construire un sanctuaire à Constantinople pour réunir la « famille de Béthanie ».

Sans entrer dans le débat de l’identification qui divise depuis des siècles les exégètes, nous remarquons que très peu de pères de l’Église évoquent explicitement le lieu de sépulture de la Sainte Myrophore. Photius, écarté un temps du Patriarcat par Basile-le-Macédonien, cite Modeste avec les réserves relevées plus haut. Et c’est à peu près tout. Grégoire-de-Tours était bien évêque mais il était surtout historien et un écrivain. Il a beaucoup écrit sur les Pères mais n’a rien apporté à la doctrine. Au sujet d’Éphèse, il ne faisait que rapporter les propos d’un voyageur oriental avec les réserves que l’on sait. Et en Orient, les Synaxaires n’étaient guère plus affirmatifs…

Les Provençaux évoquent souvent les ravages commis par les Sarrasins pour justifier la pauvreté des preuves d’une présence chrétienne en Gaule méridionale au premier siècle. Les témoignages laissés par les Byzantins [159], eu égard à l’exceptionnelle longévité de l’Empire d’Orient – depuis Constantin [160] jusqu’à la prise de Constantinople par les Turcs Ottomans en 1453 – , à la vitalité et à la richesse de l’Église grecque, sont tout aussi rares et fragiles.

Une évidence s’impose néanmoins : en Orient, le rôle central joué par Éphèse dans l’Église naissante, ajouté au rayonnement et à l’immense prestige qu’avait la ville depuis la plus haute antiquité, rendait difficilement audible les revendications venues de Marseille…

Daniel SENEJOUX, février 2018


NOTES

[1] Retirée dans la grotte de la Sainte-Baume en Provence

[2] Saint Jean est souvent considéré comme l’un des premiers représentants de la « mystique chrétienne ». En l’opposant aux trois Synoptiques, Clément qualifie son Évangile de « spirituel ». Écrit tardivement, il est l’aboutissement d’une profonde réflexion théologique et symbolique à laquelle beaucoup d’orientaux, notamment l’Église d’Éphèse, ont très tôt cherché à associer les principaux témoins de la Résurrection

[3] Louis Duchesne (1843-1922) Linguiste, Académicien, Historien de l’Église controversé, critiqué par le pape Pie XI pour ses travaux sur le Concile d’Éphèse

[4] « On dit que Marie-Madeleine repose sans couverture au-dessus », De Gloria Martyrium 590 Chapitre 29

[5] De Gloria Martyrium lib. 1 : « Passio eorum quam Syro quodam interpretante in latinum trans-tulimus »

[6] Victor Saxer « Les Saintes Marie Madeleine et Marie de Béthanie dans la tradition liturgique et homilétique orientale » In: Revue des Sciences Religieuses, tome 32, fascicule 1, 1958. pp. 1-37.

[7] Cf. Baillet et Tillemont, qui ne précisent pas leurs sources : « les anciens Latins et les Grecs modernes » ; mais qui se réfèrent aux Martyrologes latins fixant la fête de Ste Marie-Madeleine et de Ste Marthe à Jérusalem le 19 janvier

[8] Éphèse en Ionie dans la province d’Asie, située en bordure de la Mer Égée dans la Turquie actuelle. La ville comptait env. 100 000 habitants. La province d’Asie comprenait la Mysie, l’Ionie, la Lycie et la Carie

[9] Antioche-de-Syrie, actuelle Antakya en Turquie (ancienne région de Syrie)

[10] Emplacement d’une colonie grecque

[11] Église primitive de Jérusalem dite « de la Circoncision », appelée aussi « Église-Mère ». Communauté dirigée par Jacques, « le Frère du Seigneur », composée de disciples juifs qui refusaient de rompre avec le judaïsme. Ils souhaitaient créer un nouveau courant du judaïsme puisque Jésus « n’était pas venu abolir“ la Loi de Moïse. Ils exigeaient que les nouveaux adeptes, d’origine païenne, se convertissent d’abord au judaïsme. Ses membres sont communément appelés « Judéo-Chrétiens ». Cette Église s’étendit progressivement dans tout l’Orient et survécut jusqu’aux IVe, voire Ve s

[12] Composée essentiellement de Juifs de culture grecque dits « Hellénistes ».

[13] Cette Église deviendra celle « de la Gentilité » qui finira par supplanter l’Église de la Circoncision

[14] Cilicie (Anatolie méridionale)

[15] Pisidie, Pamphylie, Lycaonie, Lycie, Mysie, Bithynie, Troade, Phrygie et Galatie, Cappadoce, toutes situées en Turquie actuelle

[16] Constantin (de concert avec Licinius son homologue d’Orient) décrète le 13 juin 313 un « Édit de tolérance » (ou Édit de Milan) qui lui rallie les chrétiens. Il se fait baptiser sur son lit de mort.

[17] L’Édit de Thessalonique du 27 février 380 fait du christianisme l’unique religion licite de l’Empire romain, interdisant les cultes païens.

[18] Tiridate IV sous tutelle de l’Empire romain (couronné par Dioclétien) institue le christianisme comme religion officielle vers 324

[19] Bithynie (Iznik actuelle)

[20] Doctrine d’Arius qui considère Jésus comme une créature intermédiaire entre Dieu et l’homme

[21] Le concile adopte le dogme de la Trinité et condamne ceux qui nient le Saint-Esprit (Pneumatomaques)

[22] Bithynie (Kadiköy actuelle)

[23] A Éphèse, le concile condamne Nestorius, patriarche de Constantinople, qui enseignait que la Vierge n’avait donné naissance qu’à un humain et qu’elle ne pouvait donc pas être reconnue comme « Mère de Dieu ». La grande Église d’Orient (qui s’étendait sur toute l’Asie centrale jusqu’à la Chine) le suivit et devint « Nestorienne ».

A Chalcédoine, les adversaires les plus acharnés de Nestorius, tombent dans l’hérésie inverse, prétendant que la nature divine du Christ avait totalement absorbé sa nature humaine et qu’il n’avait donc plus qu’une seule nature. La plupart des Églises orientales, dites dès lors « Monophysites », se séparent de l’Église catholique (Constantinople et Rome) sauf une fraction de l’Église syriaque (d’Antioche) qui restera toujours catholique (Église Maronite)

[24] Le premier condamne définitivement le Nestorianisme, et le second, le Monophysisme.

[25] Le concile établit une distinction entre « l’adoration », qui ne doit s’adresser qu’à Dieu, et la « vénération » que l’on porte à des images ou à des saints pour rendre grâce à Dieu ; il condamne les Iconoclastes comme négateurs de l’incarnation de Dieu.

[26] Génocide arménien de 1915-1916 organisé par le parti « Jeunes turcs » après l’effondrement de l’Empire Ottoman ayant fait plus de 1,5 millions de morts

[27] Elle avait demandé à son père l’autorisation de garder sa virginité en raison de son aversion pour le mariage (elle rompit son vœu une fois en faveur d’Endymion, et de cette union naquirent les Amazones)

[28] Cf. Ac 19, 23-40 Émeute des orfèvres. Démétrius orfèvre et fabricant de temples d’Artémis en argent, s’en prend à Paul en l’accusant de discréditer sa profession et de dépouiller le sanctuaire de son prestige, le contraignant à quitter Éphèse

[29] Irénée (130-202, dans Adversus Haereses III, 1,1), né à Smyrne, évêque de Lyon, qui tenait le renseignement de première main, le confirme. Il écrit, 80 ans après la mort de l’Apôtre : « Jean, le disciple du Seigneur, le même qui reposa sur sa poitrine, a publié, lui aussi, son Évangile, pendant son séjour à Éphèse » ; d’après Eusèbe (H.E. III, 23), Jean était encore à Éphèse « Aux temps de Trajan »,c’est-à-dire après 98

[30] Tradition éphésienne évoquée par Louis Massignon (1883-1962) orientaliste et « disciple » de Charles de Foucauld. Il se rend à Tamanrasset après la disparition de son ami, regrettant de ne pas l’avoir rejoint en 1909. Il vécut longtemps au Maroc et en Algérie.

[31] « Les Saintes Marie Madeleine et Marie de Béthanie dans la tradition liturgique et homilétique orientale » In: Revue des Sciences Religieuses, tome 32, fascicule 1, 1958. pp. 1-37.

[32] Hippolyte Delehaye, Syn. Eccl. CP., p. 833-835. Le ménologe, dit de Basile II le Porphyrogénète, reproduit ce même texte à quelques variantes près (PG. CXVII, 553).

[33] Il en est ainsi du Synaxaire de Constantinople auquel se réfèrent la plupart des Églises orientales. Syméon le Métaphraste (Xe s) a procédé à la plus importante compilation de ménologes et de vies de saints qui ont été progressivement intégrés au Synaxaire

[34] Depuis St Grégoire le Grand, la tradition occidentale a assimilé Marie-Madeleine à la pécheresse repentante venue oindre les pieds de Jésus (Luc 7:36-38), et même à Marie Sœur de Lazare. Mais cette thèse a été rejetée par beaucoup de Pères orientaux qui ne voient pas dans l’Évangile d’arguments suffisants pour porter cette identification, prétendant que la « possession » ne suppose en aucun cas une « vie débauchée ». St Syméon Métaphraste interprète donc ici de manière allégorique les « sept démons » comme étant les sept passions qui font obstacle à la vertu. Tous les Pères ne l’ont pas suivi et le débat se poursuit toujours.

[35] Jacques de Voragine dans sa Légende Dorée, rapportant une tradition orientale, indique que c’est par faveur pour Marie-Madeleine que Jésus guérit Marthe d’un flux de sang et qu’il choisit sa servante Martille (Marcelle) pour prononcer cette parole vénérable

[36] Ce thrène (lamentation funèbre) est le thème de l’Office des matines du Grand Samedi.

[37] D’après St Romanos le Mélode (493-556) et St Grégoire Palamas (1296-1359) l' »autre Marie » ne pouvait être que la Mère de Dieu, car il convenait qu’elle fût la première à contempler la Résurrection de son Fils. Mais, pour la plupart des Pères, ce fut Marie Madeleine qui vit la première le Seigneur, conformément aux paroles de l’Évangile (Marc 16:9), l' »autre Marie » étant Marie, mère de Jacques. Les écrivains ecclésiastiques ont essayé de concilier de diverses manières les récits divergents des Évangiles concernant la ou les visites des Saintes Myrophores au tombeau. La version actuelle du Synaxaire de Constantinople résume la version de Nicéphore-Calliste Xanthopoulos (1226-1335).

[38] Cf. Actes 2. La présence de Marie-Madeleine (de la Vierge et des Saintes femmes) dans la Chambre haute à la Pentecôte est constante dans la tradition orientale. Les femmes se trouvaient parfois dans une chambre voisine (au-dessus ou au-dessous). Pour l’Église Syriaque (d’Antioche), la Chambre haute était située sur l’autre versant du Mont Sion (proche de la porte de Jaffa) où se trouve l’actuelle église St Marc construite sur l’emplacement de la maison de sa mère – une autre Marie – et où se serait également déroulée la dernière Cène. Ce lieu est beaucoup plus proche du St Sépulcre que le Cénacle des Latins, ce qui permettait à Marie-Madeleine de faire, au matin de Pâques, plusieurs allers-retours entre le Tombeau et la maison dans laquelle s’étaient réfugiés les Apôtres, gommant ainsi sans difficulté les éventuelles contradictions des Évangiles.

[39] Ce récit de la vengeance contre Pilate et de sa mort n’est rapporté que par St Syméon Métaphraste, probablement sous l’influence de l’Évangile apocryphe de Nicodème (Actes de Pilate, Vs.), qui met en scène Ste Véronique. En 36, Pilate fut déposé de sa charge et renvoyé à Rome pour répondre de sa mauvaise administration, pendant laquelle avaient abondé provocations, violences et exécutions arbitraires. Selon Eusèbe de Césarée, il se serait suicidé (Hist. ecclés. II, 7), ou fut peut-être exécuté. Diverses traditions apocryphes ont tenté de réhabiliter Pilate, supposant même qu’il se serait converti, et reportent toute la responsabilité de la Passion sur les Juifs.

[40] Cette tradition populaire rend compte de la coutume des œufs de Pâques, répandue dans tout le monde chrétien (Cf. note 61)

[41] Il n’est plus question de Tibère, sans doute décédé à cette date

[42] Cf. Ac 27, 39-44 L’arrivée « fracassante » de saint Paul à Malte, après la tempête qu’il venait de subir, Ac 27, 40 notamment, permet de comprendre ce que pouvait être un navire « sans voile et sans gouvernail » ; le texte prend ici tout son sens !

[43] Ce récit de la mission de Ste Marie-Madeleine en Gaule, rapporté par St Syméon Métaphraste, fait écho, en quelque manière, aux diverses traditions répandues en France, concernant le culte de la Sainte. La tradition du transfert de Reliques de Marie-Madeleine à l’abbaye de Vézelay, en Bourgogne, fut à l’origine d’un fameux pèlerinage. Selon certains, ces Reliques venaient de Provence, selon d’autres de Palestine. Elles étaient vénérées à la Sainte-Baume, à une cinquantaine de km de Marseille, dans une caverne où la Sainte aurait mené une vie ascétique pendant trente ans. Parallèlement, un pèlerinage se développa au village de Saint-Maximin, à une vingtaine de km de là, où l’on avait découvert dans une crypte un sarcophage de la Sainte Myrophore. On vénéra dès lors en Provence Ste Marie-Madeleine et ses compagnons : St Maximin, premier Évêque d’Aix, St Sidoine, Ste Marcelle et deux autres enfants. Notons qu’on vénère également aux Saintes-Maries-de-la-Mer, en Camargue, les Saintes Myrophores Marie, mère de Jacques, et Marie Salomé, qui auraient accompagné Ste Marie-Madeleine dans sa mission (Cf. note 79)

Il est probable que ce lien surprenant avec la Tradition provençale soit une interpolation tardive, en tout cas postérieure à la compilation de Syméon Métaphraste. Mais nous retrouvons aujourd’hui cette version, y compris la note explicative ci-dessus, dans la plupart des Églises orientales.

[44] Les Actes des Apôtres fourmillent de renseignements sur les conditions de voyage à l’époque. Cf. aussi Chantal Reynier, Ed. du Cerf « Saint Paul sur les routes du monde romain »

[45] Cf. 2 Co 11,25-26. Paul dit son appréhension des voyages en mer mais aussi de ses longs parcours terrestres

[46] Le Bora, l’Aquilon ou le Sirocco peuvent transformer de façon soudaine une mer calme en masses d’eau déchaînées Cf. voyages de Paul montrant qu’il était tributaire des vents : vents contraires dans Ac 27,4 et 27, 7 ; le vent du sud en Ac 28,13

[47] Les bateaux s’éloignent (Ac 27, 28), louvoient (Ac 27, 27), cherchent l’abri (Ac 27, 16), ou tirent des bords (Ac 27, 7)

[48] Cf. Ac 20, 6 et Ac 27, 9

[49] Cf. Ac 16, 11 ; Ac 27, 20 : la mer était périlleuse en cette saison de l’année et Paul avertit ses compagnons qu’il craignait, non seulement pour la cargaison, mais aussi pour leurs personnes ; Ac 27, 39 : la cargaison est finalement jetée par-dessus bord

[50] La voile est fixée à un mât unique. En Ac 27, 40 il est question d’un « artimon » sans que l’on puisse dire s’il s’agit d’une voile ou d’un mât. En Ac 27,40 il est fait allusion aux gouvernails latéraux, sortes de grandes rames ou pelles manœuvrées par un timonier. Ac 27, 28 mentionne aussi la sonde, indispensable dans la navigation à l’estime ainsi que plusieurs ancres dont certaines pouvaient être en bois ou en pierre (Ac 27, 29).

[51] De 2 à 6 oboles (un ouvrier gagne environ 9 oboles par jour)

[52] Ils sont désignés par leur port d’attache (Cf. Ac 27, 2 ; Ac 27, 6 ; Ac 28: 11), et leur forme varie selon la propulsion (rame ou voile) ou le milieu de navigation (hauturier, côtier, fluvial)

[53] Des hommes libres comme des esclaves, des administrateurs, des soldats, mais aussi des mages juifs et non juifs (Cf. Ac 13, 6-7 et 13, 8), des athlètes et leurs « supporters » se rendant aux Jeux d’Olympie et, surtout, des commerçants et des négociants accom-pagnés de leurs esclaves. Pendant la traversée, les prisonniers bénéficient d’une forme de liberté surveillée (custodia libera).

[54] Cf. Lydie marchande de pourpre, Phébée femme d’affaires ou Prisca femme d’Aquilas

[55] Dans Ac 27, 37, Paul embarque avec 276 passagers pour Rome. Il existait des bateaux pouvant embarquer 600 personnes (Flavius Josephe).

[56] Les passagers sont installés sur le pont, au milieu de leurs bagages, de leurs couvertures et de leur ravitaillement. Ils sont exposés à la pluie, au soleil, au sel…et au mal de mer. Les rares cabines sont réservées au nauclère où aux personnages de marque.

[57] Cf. Ac 27, 9-12 Paul qui donne son point de vue sur la navigation et sur l’importance des marchandises est très vraisemblable. Les plus grands pilotes reçoivent les recommandations de leurs passagers qui ont leur mot à dire sur la route empruntée ou le jet par-dessus bord du chargement. Dans les moments critiques, ils prennent même part aux manœuvres Cf. Ac 27, 14-44.

[58] On pêche, on bavarde, on fait du commerce ou on écrit. Paul y prépare certaines de ses lettres Cf. 2 Tm 4,13… et médite sur la résurrection des morts ou le dessein de Dieu : 1 Co 15, 39-42 ; Col 1,15-17 ; Gal 1,13 1 Co 7,29 ; Ep 4,14 ; 1 Tm 1,19

[59] L’eau est stockée dans des réservoirs mais ne peut se conserver au-delà de quinze jours. L’eau de pluie est recueillie à l’aide de toisons suspendues aux agrès

[60] Des galettes, de l’huile, de l’ail, des oignons. Des lignes sont fixées à l’arrière du bateau ; les plus malins essayent d’attraper au trident les poissons qui sautent…

[61] L’œuf est un symbole de résurrection. Marie-Madeleine aurait présenté un œuf à Tibère qui, devant l’incrédulité de l’Empereur, serait devenu rouge sang. A Pâques, les russes décorent leurs tombes avec des œufs colorés. Cette tradition est à l’origine des « œufs de Pâques »

[62] Cf. démêlés de Tibère avec Séjan et Macron qui détenaient alors Rome

[63] Cf. Origène (Homélies) et Mt 10, 25. François de Bivar (Chronique de Dexter – 1637) pense qu’elle pourrait être la femme dont parle Paul (2 Tm 4, 21) : « Esbule, Pudens, Lin et Claudia ».Par ailleurs, Jeanne femme de Chouza intendant d’Hérode, qui fréquentait la cour et suivait également Jésus, avait peut-être introduit Marie-Madeleine (qui semblait aussi fréquenter la cour d’Hérode) auprès de Procula. Il est probable que les trois femmes se connaissaient.

[64] Claudia ne pouvait pas porter le nom de la gens Claudia si elle n’était pas parente, cliente ou affranchie de la famille impériale. Elle n’était sûrement pas affranchie car elle n’aurait jamais pu épouser Pilate qui était chevalier romain ; ce dernier, très ambitieux, n’aurait pas accepté non plus une simple cliente. Voir aussi Macrobe, chroniqueur Ve s. Les Saturnales. Claudia aurait été élevée par Tibère. Elle pourrait être une fille illégitime de Julia, la seconde épouse de Tibère, et donc petite-fille d’Auguste. Si Pilate avait sa femme avec lui, cela prouve qu’ils avaient des soutiens en « haut-lieu » puisque seules les femmes de haut-rang pouvaient accompagner leurs maris en mission (Tacite : Annales L 3,33-34) ; la loi Oppia interdisait en effet aux proconsuls d’emmener leur femme dans les provinces qu’ils gouvernaient. A noter aussi une correspondance controversée de Claudia à Fluvia Hersila (Archives du Diocèse de Narbonne) qui confirmerait ses liens avec Tibère.

[65] Eusèbe parle de la « douzième année de Tibère » dans son Histoire Ecclésiastique et de « treizième année de Tibère » dans sa Chronique

[66] C’est encore Eusèbe qui indique que Pilate survécut très peu de temps après son exil et qu’il décéda à Vienne (assassinat ou suicide) « La troisième année du règne de Caligula ».

[67] Les Actes de Pilate apparus au IVe s donneront plus tard l’Évangile de Nicodème (Ve s.) sans doute écrit par un auteur juif d’Alexandrie. T1, ch 11 Marie-Madeleine dit : « Qui fera entendre tout cela au monde entier ? Moi, je me rendrai seule à Rome auprès de César et je lui révélerai tout le mal que Pilate a fait en se laissant persuader par les Juifs iniques »

[68] Les Actes de Pilate puisent leurs sources dans des auteurs des IIIe et IVe s : Cyrille de Jérusalem, St Jean Chrysostome (Antioche), Origène (Alexandrie), Hippolyte (Rome)… ; Grégoire-de-Tours fait allusion à ces textes dans son Histoire des Francs. Mais aucun de ces auteurs ne cite le voyage de Marie-Madeleine à Rome.

[69] Eusèbe de Césarée : « Actes de Pilate et de notre Sauveur » en 197

[70] Sans doute vers 32, Cf. Ac 7, 55-60

[71] Ac 9, 43 C’est-à-dire environ un an (voir les commentaires note 77 ci-dessous)

[72] Ac 10 Corneille habitait Césarée et appartenait à la Cohorte Italique basée à Césarée, port qui abritait l’escadre de Syrie. Chaque cohorte comprenait 30 manipules de 200 hommes, puis 60 centuries de 80 à 100 hommes commandées par un centurion. Leur enseigne était un cep de vigne qui leur servait à infliger la bastonnade. La Cohorte Italique appartenait à la célèbre Xe Légion « Fretensis » (env. 60 000 hommes) ; celle qui, commandée par Titus, détruira Jérusalem en 70 (avec la XIIe « Fulminata » crée par Jules César). Il y avait 25 Légions sous le règne de Tibère qui assuraient l’ordre dans tout l’Empire romain. Le « Quartier Général » de la Xe était à Antioche. Parmi les soldats qui la composaient il y avait beaucoup de « gallo-romains » recrutés pour la plupart dans la Narbonnaise ; ils y retournaient à la fin de leur engagement (généralement pour 16 ou 20 ans)

[73] Ac 11, 3 à Jérusalem les « Circoncis » le prirent à parti. C’est-à-dire « l’Église de la Circoncision »). (Cf. note 11)

[74] Le fils d’Hérode le Grand

[75] Seulement pour quelques années (de 34 à 37), jusqu’à l’avènement du nouvel Empereur Caligula

[76] Ac 9, 13-15

[77] Ac 9, 23-25 Paul resta à Damas « un certain temps ». Chez Luc, l’expression « un certain temps » ou « assez longtemps » signifiait le plus souvent au moins une année (cf. Ac 9, et 43 ci-dessus, ou Ga 1, 17 et 18 ; ou encore Ac 14, 27) ce qui le ferait revenir à Jérusalem vers 34-35

[78] Cf. Ga 1, 19 Paul n’aurait rencontré que Jacques

[79] Selon la Tradition provençale, « l’équipée » comprenait Marie-Madeleine, Lazare et Marthe ses frère et sœur, Maximin l’un des 72 Disciples (intendant de Lazare à Béthanie selon une tradition orientale), Sidoine l’aveugle né, Marcelle (ou Martille) la servante de Marthe, Marie-Jacobé et Marie-Salomé mères des deux Jacques apôtres et, peut-être, de quelques autres. On évoque parfois Sara ; ils portaient avec eux des ossements des Saints Innocents et de la terre, voire du sang de Jésus, recueillis au Calvaire. Ils débarquèrent aux Saintes-Maries-de-la-Mer en Camargue proche d’Arles et de Marseille.

[80] Il fallait environ 20 jours pour faire le trajet Pouzzoles – Alexandrie (Philon) ; le « record » était de 9 jours (Pline l’Ancien) hors escales éventuelles en Italie, Sicile ou Malte…. C’était la voie la plus rapide pour se rendre en Orient (Dans l’autre sens, les bateaux étant « poussés » par le Khamsin et le Sirocco)

[81] L’espoir d’un renouveau national pour les Juifs d’Alexandrie consécutif à la venue d’Hérode Agrippa provoque le mécontentement des Grecs et des Égyptiens qui les accusent de non-loyalisme envers Rome. Les païens exigent du gouverneur Flaccus de placer des statues de l’Empereur Caligula dans les synagogues, ce qui déclenche des émeutes et des répressions violentes. Des milliers de Juifs, d’après Philon, furent massacrés ou chassés d’Alexandrie

[82] Cf. Gilles Dorival : « les débuts du christianisme à Alexandrie » 1998

[83] Cf. HE II, 17 : Les Thérapeutes seraient les premiers convertis de Marc. Épiphane (PG 41,389-90), après avoir vécu plusieurs années avec les moines d’Égypte, partage cette opinion sans hésitation et leur donne le nom de Jesséens. Sozomène (PG 67, 895-6) les appelle « Juifs convertis continuant de vivre selon l’usage judaïque » (Judéo-chrétiens)

[84] Léon Herrmann dans Revue des Sciences Religieuses, 1976 : « Apollos »

[85] Cf. Ac 18, 24-19 Apollos « était un homme éloquent, versé dans les écritures. Il avait été instruit par la Voie du Seigneur ; il prêchait et enseignait avec exactitude ce qui concerne Jésus, bien qu’il connût seulement le baptême de Jean (le Baptiste). Il se mit à parler avec assurance dans la synagogue ». Paul retrouve Apollos à Corinthe (1 Co 3,4 ; 3, 22 4,6 ; 16,22) où apparaissent quelques divergences

[86] Elle aurait pu aussi faire escale à Césarée (port situé bien avant Tyr), beaucoup plus pratique pour se rendre à Jérusalem. Le Synaxaire n’en parle pas.

[87] Cf. Mt 15, 21-28 (guérison d’une Cananéenne), et Mc 7, 24-30 (guérison de la fille d’une Syro-phénicienne à Tyr)

[88] Cf. Ac 11, 19 : Peut-être faisait-il partie des disciples dispersés après le martyre d’Etienne ? En se rendant à Antioche, Pierre serait alors passé en Phénicie « mais sans prêcher la parole à d’autres qu’aux Juifs.

[89] Cf. Ac 21, 3-6 Ayant trouvé un navire pour la Phénicie, Paul fit escale à Tyr ; il y découvrit des disciples et resta avec eux 7 jours avant de rembarquer pour Ptolémaïs (St Jean-d’Acre). Dans Ac 27, 3, en partant de Césarée pour Rome, il fit d’abord escale à Sidon où il retrouva des amis.

[90] Antioche était alors capitale de la Syrie (actuelle Antakya en Turquie). Elle comptait environ 500 000 habitants. Son port était Séleucie-de-Piérie situé à 32 km au sud de la capitale, proche de l’embouchure de l’Oronte.

[91] Ac 11,25-26 C’est Barnabé qui vint chercher Paul à Tarse pour l’emmener une première fois à Antioche où il resta une année et c’est pendant cette période que l’on commença à nommer les Disciples des « Chrétiens ».

Ac 14, 26-27 ils revinrent tous les deux à Antioche – via la Pamphilie – depuis Antioche-de-Pisidie à l’issue du 1er voyage missionnaire. Ils y restèrent alors 14 ans, jusqu’au « Concile » de Jérusalem, où ils se rendirent ensemble.

[92] Ac 11, 19 Certains disciples dispersés après le martyre d’Etienne s’étaient rendus à Antioche où ils avaient trouvé des Juifs Chypriotes et Cyrénéens convertis à Jésus qui s’adressaient déjà aux Grecs (païens)

[93] Une vieille tradition orientale assure que la famille de Lazare de Béthanie, le frère de Marie-Madeleine, était originaire de Syrie. Maria Valtorta, (T.8, chap. 47),dans plusieurs de ses visions, indique que Lazare aurait autorisé plusieurs disciples à s’installer dans l’une des propriétés qu’il possédait encore à Antioche. Jacques de Voragine, dans sa Légende Dorée, va dans le même sens

[94] Ga 2, 1-14 La Réunion de Jérusalem dut se tenir début 49. Paul avait emmené Barnabé avec lui ; ils y trouvèrent notamment Pierre et Jacques qui dirigeait la communauté de Jérusalem. Après le Concile, Pierre séjourna 7 ans à Antioche ; il vécut un temps avec Paul à Antioche mais la cohabitation n’était pas simple : ils connurent quelques frictions à propos des nouveaux convertis

[95] Cf. Frères des Écoles Chrétiennes : Vie des Saints. Pierre s’installa définitivement à Rome vers la fin des années 50.

[96] Cf. Pape Innocent I (378-417) qui évoque plusieurs fois la rencontre d’apôtres à Antioche ; d’après Irénée et Origène, Matthieu se retira en Syrie (vers 50) pour « mettre par écrit l’enseignement du Seigneur » ; Thomas quitte Antioche avec Barthélémy pour aller évangéliser Ninive (Irak) puis envoie Addaî (Thaddée) à Édesse (Turquie) fonder la grande Église orientale(syro-chaldéenne et Malabar) qui éclatera aux IVe et Ve s en plusieurs Églises indépendantes, notamment après les conciles d’Éphèse et de Chalcédoine

[97] Cf. Ac 18, 18-22 (2e voyage missionnaire) Paul arrive à Antioche vers 54.

[98] Cf. Ac 13, 13 où Jean-Marc le quitta pour s’en retourner à Jérusalem

[99] Cf. Ac 14, 24-26 Quittant Pergé, Paul alla prêcher à Attalie, autre port de Pamphylie (avec son fameux théâtre d’Aspendos, l’un des mieux conservé se tout l’Orient) qui était aussi la capitale (actuelle Antalya en Turquie), avant « de faire voile vers Antioche »

[100] Cf. Ac 21, 1-3 (3e voyage missionnaire) avant de s’embarquer pour Tyr en Phénicie. Patara, aménagé sur le Xanthos, était le port le plus important de Lycie

[101] Cf. Ac 27, 5 : En route vers Rome, Paul fit d’abord escale à Myre où le centurion qui l’accompagnait trouva un grand navire de la flotte égyptienne affecté au transport de blé qui, après avoir contourné l’île de Rhodes avec difficulté, finit par aborder à Bons-Ports en Crète.

[102] Paul arrive pour la première fois à Éphèse vers l’automne 51 et quitte définitivement la ville après la Pâque de l’année 57. Sans doute avait-il l’intention d’y revenir un jour mais il est douteux qu’il y soit parvenu (Cf. ci-après). Lorsqu’il retourna à Jérusalem, il prit le soin d’éviter Éphèse et fera demander à ses fidèles éphésiens de venir le retrouver à Milet. (Ac 20, 16-38). Après sa captivité de 63 (échappant alors de justesse au carnage organisé par Néron après l’incendie de Rome en 64 qui fut fatal à Pierre), il tenta de revenir à Éphèse mais, après l’hiver passé à Nicopolis (65-66 ?), il est de nouveau arrêté et ramené à Rome pour y être décapité (vers 67). Il est difficile de déterminer de quelle Nicopolis il s’agit : soit en Épire, ce qui suggère un retour en Orient par les voies Appia et Egnatia à travers les Balkans, ou celle de Syrie (au nord d’Antioche) suggérant alors un retour par voie maritime plus au sud. Son arrestation pourrait se situer à Troas mais 2 Tim 4, 20 suggère plutôt Éphèse (Cf. Marie-Françoise Baslez)

L’année suivante, en 68, Vespasien arrivait sous les murs de Jérusalem lorsque Néron mourut, remplacé pour peu de temps par Galba. Vespasien quitte alors le siège de Jérusalem et rentre à Rome pour devenir Empereur. Son fils Titus reprend l’offensive lors de la Pâque juive suivante et fait incendier le Temple. Nous sommes le 10 août 70 ; Éphèse est encore calme…

[103] Cf. Ac 20, 16-18 Jean arrive à Éphèse entre 57 et 66 (peut-être y était-il déjà venu pour un court séjour avec la Vierge, mais rien n’est sûr), probablement après le départ définitif de Paul (Cf. note ci-dessous). Le Synaxaire indique que saint Jean se trouvait à Éphèse quand Marie-Madeleine y arriva ; elle y resta lorsque Jean dût s’exiler à Patmos.

[104] Après l’Ascension de Jésus, si l’on se réfère à la Tradition orthodoxe (Synaxaire et Vie de St Jean le Théologien), Jean serait resté le dernier à Jérusalem – jusqu’à la Dormition de la Vierge – puis désigné, à l’âge de 56 ans, pour aller évangéliser l’Asie. Il serait donc allé directement à Éphèse, mais après un naufrage sur les rives de Séleucie (Antioche) et un détour par Marmaréote (sur la Mer de Marmara ?) ; il y serait resté 9 ans avant d’être exilé à Patmos (en compagnie de Prochore) par l’empereur Domitien (81-96). Après un séjour dans l’île de 15 ans, Trajan (98-117) l’autorisa à revenir à Éphèse où il vécut encore 26 ans. Jean mourut à Éphèse à l’âge de 105 ans et 7 mois. Il va sans dire que les historiens et les exégètes occidentaux contestent cette version. Dans tous les cas, il est très probable que Jean séjourna à Éphèse une vingtaine d’années (au moins), ce qui laissait tout loisir à Marie-Madeleine de le rencontrer.

[105] Les visions d’Anne-Catherine Emmerich (1774-1824), rapportées par Clemens Brentano, décrivent la vie, la mort et la Dormition de la Vierge à Éphèse, entourée de tous les Apôtres convoqués en songe à Éphèse (Marie-Madeleine ne figure pas au nombre des « saintes femmes » également présentes). Sa « maison » de Panaghia-Capouli, découverte à la fin du XIXes a été acquise par l’Église catholique en prenant les Grecs orthodoxes de vitesse. L’abbé Louis Duchesne qui avait violemment contesté la Tradition provençale, avait également été sollicité par les Lazaristes qui convoitaient le site. Il s’opposa de la même manière au projet d’acquisition, jugeant les révélations de Catherine Emmerich le produit d’une imposture et ses visions de pures hallucinations.

[106] De Gloria Martyrium : « Passio eorum quam Syro quodam interpretante in latinum transtulimus »

[107] Joseph Escudier : L’Évangélisation primitive de la Provence,

[108] Éphrem le Syrien, diacre et théologien né à Nisibe (Nusaybin, Turquie) et mort à Édesse (Sanliurfa/Urfa également en Turquie)

[109] Photius, né à Constantinople, décédé en Arménie. Patriarche de Constantinople de 858 à 886

[110] Modeste, né à Sébaste en Cappadoce (actuelle Sivas en Turquie) décédé à Jérusalem. Vécut au Mt Sinaï et fut Patriarche de Jérusalem de 630 à 634

[111] Bibliotheca 275 Sur les femmes porteuses de parfums

[112] Maximin-Martial Sicard, professeur de Théologie Ed. Arthur Savaete Paris, Tome 1 ; Etienne-Michel Faillon « Monuments Inédits » Ed. J-P Migne Paris col. 371

[113] Joseph Escudier « l’Évangélisation primitive de la Provence » Ed. Mon Ste Jeanne d’Arc 1929 Toulon p.112-113 : Willibald avait une dévotion particulière à sainte Marie-Madeleine, ayant reçu le sacerdoce et la consécration épiscopale le 11 des calandres d’août, fête de cette Sainte.

[114] Willibald : Odaeporicus

[115] E-M Faillon « Monuments Inédits » T1, col 1360-1361

[116] Bollandistes : Acta Sanctorum, t. XXIX pp. 485, 501

[117] Polycrate d’Éphèse, évêque de cette ville (Cf. note 118 ci-après)

[118] Polycrate affirme au pape Victor être le huitième évêque de sa parenté (HE V, 24,6)

[119] Jean-Baptiste du Sollier, jésuite flamand

[120] Cet usage d’origine « judéo-chrétienne » suivant en cela Jacques de l’Église-mère de Jérusalem (avec quelques autres comme le culte des anges) avait aussi gagné l’Égypte. Cf. St Pacôme (PG 82,92732) au IVe s ; les Pères du Concile de Nicée (325) durent défendre cette coutume (voir ci-dessous, ainsi que note 11)

[121] Fameuse controverse des Quartodecimans : Fête religieuse pratiquée jusqu’au IVe s dans les Églises d’Asie. Celles-ci célébraient Pâques le 14 Nisan, c.à.d. la veille de la Paque juive (Nisan = 1er mois du calendrier juif) jour fixé de telle façon qu’il corresponde à la nouvelle lune de Printemps. Le concile de Nicée (325) prescrit une nouvelle date, indépendante du calendrier juif, qui généralisait le dimanche. Un peu plus tard, vers 364, le concile (régional) de Laodicée (Phrygie) abolit en outre le repos du sabbat et les phylactères, et d’une manière générale, toute pratique judaïsante (le concile défend également de donner aux femmes des responsabilités dans l’Église)

[122] Actuelle Pamukkale en Turquie

[123] Polycrate HE III, 31,3

[124] Louis Massignon (1883-1962). Il affirme aussi l’importance d’Éphèse dans une vision grandiose et prophétique (1961) :  » Éphèse doit devenir, avant le rassemblement final à Jérusalem, pour tous les groupes chrétiens et musulmans, le lieu de la réconciliation en Hazrat Meryem Ana (« Notre Mère » en turc) en attendant qu’Israël la reconnaissant enfin comme la gloire de Sion, rejoigne cette unanimité tant désirée ». Il fonde un pèlerinage islamo-chrétien à Vieux-Marché (Côtes du Nord), chaque fête de Ste Marie-Madeleine en juillet, greffé sur le traditionnel « pardon » breton organisé sur un dolmen-chapelle (le pèlerinage existe toujours).

[125] P.G. 115, col. 427-448

[126] « De Gloria Martyrium » 1.I,c.XCV

[127] Paul Diacre : moine bénédictin lombard, 1,c.IV, situe la Caverne en Germanie

[128] Cf. Youakim Moubarak, les Dossiers H, Ed. L’Age d’Homme, Clamecy (58) 2005, pp. 168-174

[129] Al-‘Azarîyeh « le Lieu de Lazare », est le nom du village palestinien actuel, identifié par la plupart des savants au village de Ananyah (« Beth Ananyah » la maison d’Ananya) dans lequel s’établit la tribu de Benjamin après le retour de l’exil (Ne 11, 32), situé à 15 stades (2800 m) de Jérusalem. La « Vie » qui suit indique que Béthanie signifie aussi « la Maison des Palmes » en hébreux.

[130] Église grecques du Bourj-el-Hammâr. Cf. Albert Storme « Béthanie » Ed. Franciscan Printing Press (3e éd. 1992)

[131] Samedi de Lazare : veille du dimanche des Rameaux. Dans les Églises d’Orient orthodoxes et catholiques de rite byzantin ce jour est considérée comme anticipation à Pâques et fêté comme un dimanche, jour de la Résurrection. Dans la liturgie orientale, le Temps du Grand Carême est décomposé en : lundi pur (suivant le Dimanche du Pardon); Dimanche de l’Orthodoxie (1er dim. de carême); Dimanche des Reliques; Dimanche de la Croix; Dimanche de Jean Climaque; Samedi de l’Acathiste; Dimanche de Marie l’Égyptienne; Vendredi veille de Lazare ; Samedi de Lazare (fin du Grand Carême).

[132] Elle fut transformée en statue de sel

[133] Équivalent grec du pallium dans l’Église latine

[134] Panarium écrit vers 374

[135] Quartier situé à l’est de Saint-Sophie, près d’une poterne ouverte sur le rempart

[136] Synaxaire de Constantinople, col. 146-148

[137] Shaun Tougher, The reign of Leo VI, 201-202 ; ID., « “The Angelic Life” : monasteries for eunuchs », dans Byzantine Style, Religion and Civilization. In Honour of Sir Steven Runciman, éd. E. JEFFREYS, Cambridge University Press, 2006, p. 241-242, 248.

[138] Revue des Études Byzantines, tome 56, 1998 pp.231-238, Mélèce le Confesseur vénéré dans le même monastère, transcrit par Georges Pachymérès

[139] Cf. Tillemont (Louis-Sébastien le Nain de) – Mémoire pour servir l’histoire ecclésiastique : « on ne doit point avoir d’égard pour les histoires des menées des Grecs venus en des temps où la vérité de l’histoire a été altérée par diverses traditions populaires et souvent par des fictions inventées à dessein »

[140]  » Mense Octobri, die XVII. Translatio pretiosarum reliquiarum sancti et justi Lazaris, Félix et celeberrimus, ac regum fidelissimus Leo fidelissimus Leo divino motus zelo, et quasi quodam perculsus afflatu primum quidem templum Justo aedificavit, deinde facta in insulam Cyprum expeditione, invenit sanctum illius corpus in urbe Cytiensi, mille abhinc annis sub terra conditum in marmorea capsa. ubi aiterius linguae Iitteris inciditur. Lazarus: quatriduanus et amicus Dei Christi. Statim sublatum inde magni pretii thesaurum, et argenteis loculis impositum Constantinopoli reposuit ». Faillon, I, p. 361.

[141] Annales Ecclésiastiques Baronii, an. 375

[142] Cf. supra p.18

[143] Joseph Escudier, supra

[144] Idem. Lettre du père Joseph Besson à son confrère le père de Gourdan à Aix du 17 avril 1660, rapportée par Noël Alexandre et les Bollandistes : « Les moines répondirent qu’il était constant, par des monuments anciens de l’Église grecque, que sainte Marie-Madeleine, sainte Marthe sa sœur, et Lazare leur frère, avaient abordé en Provence et qu’ils reposaient dans ce pays »

[145] Figure dans la Vie de Cyriaque l’Anachorète décédé en Palestine vers 556, et dans le Pré spirituel de Jean Moschus (550-619)

[146] Ed. du Seuil 1998

[147] A l’origine des ermites.

[148] Dans la Tradition occidentale c’est Maximin qui donna la communion à la Madeleine et qui lui fit ensuite construire une église

[149] Symbole de vanité

[150] Paul Diacre (720-799)

[151] Les Anachorètes, parfois appelés celliotes ou laurites, vivaient seuls dans des cellules, parfois éloignées du bâtiment (ou grotte) principal, la Laure, dirigé par un higoumène. A l’inverse, les Cénobites vivaient en groupe dans la cénobie (monastère). Antoine (le Grand) est la figure la plus connue des anachorètes et Pacôme est considéré comme le père du cénobitisme. Il y avait aussi les Thérapeutes (secte juive Hellénisée proche des esséniens), qui pratiquaient l’ascèse et la mortification (Cf. note 83).

[152] Philon d’Alexandrie : Quod omnis probus liber sit (75-91)

[153] Ionie (Éphèse), Bithynie (« Montagne monastique » de Kyminas modèle du Mont Athos et des Météores en Grèce), Lycie (Myre), Cappadoce (vallée de Göreme) sont les plus connues

[154] Église primitive, dite de la Circoncision, composée de juifs pratiquants (Cf. note 11)

[155] Plusieurs de leurs écrits théorisent sur la lumière portée par Jésus. Le Protévangile de Jacques, par exemple, signale qu’une grande lumière s’est produite dans la grotte de laNativité à Bethléem au moment de la naissance du Sauveur

[156] Dans La Dormition de la Vierge (œuvre apocryphe judéo-chrétienne), la Vierge se serait rendue dans cette grotte pour prier. Dans L’Histoire de Joseph le Charpentier, Jésus y aurait raconté la mort de Joseph

[157] PG 11, 1539-42

[158] PG 33, 1047-8 ; Celse se fonde sur cet usage pour accuser les judéo-chrétiens de s’y livrer à des actes occultes et mystérieux

[159] Et les Églises orientales en général : Grecque (Constantinople), Syriaque (Antioche), ArménienneCopte (Alexandrie) ou Ethiopienne (Abyssinie) partagent les mêmes traditions.

[160] L’Empire Romain est divisé en 285-286 par Dioclétien, mais c’est Constantin qui est le « père spirituel » de l’Empire d’Orient avec la fondation d’une nouvelle capitale à Constantinople sur le site de Byzance. Le christianisme est favorisé par la convocation d’un premier concile œcuménique à Nicée (rive orientale du Bosphore) en 325